Préservation de la confiance dans le système financier canadien

Discours -

Peter Routledge, surintendant, a prononcé un discours lors du 24e Sommet financier annuel de la Banque Scotia

Le texte prononcé fait foi

Date : Le 7 septembre 2023

Bonjour à tous.

Merci, Raj, pour vos bons mots et votre accueil chaleureux à ce sommet.

Je tiens à souligner que nous sommes actuellement sur le territoire traditionnel de plusieurs nations, à savoir :

  • les Mississauga de Credit;
  • les Anishnabeg;
  • les Chippewa;
  • les Haudenosaunee et les Wendat;
  • et que c’est le foyer de nombreux et divers peuples des Premières Nations, des Inuits et des Métis.

Au cours des deux années de ma surintendance, j’ai appris à composer avec des risques extrêmes, c’est-à-dire à considérer notre économie et notre système financier suivant des scénarios pessimistes, mais vraisemblables.

Paradoxalement, cette expérience m’a fait voir l’importance de l’optimisme. Si mon travail m’oblige parfois à rester dans l’ombre, de là, je peux toujours voir la lumière du soleil.

Je vais commencer par citer les raisons de mon optimisme… L’économie et le système financier du Canada ont fait preuve d’une résilience extraordinaire face au resserrement le plus important de la politique monétaire depuis une génération. Les capitaux financiers restent abondants et les pertes sur crédit demeurent faibles. Si les pertes sur crédit devaient augmenter considérablement, nous croyons que les institutions que nous réglementons résisteraient à cette tempête.

Tous les ans, des centaines de milliers de personnes brillantes et travaillantes cherchent à faire du Canada leur pays. Le Canada est un pôle d’attraction. Cela renforce notre économie, la santé de notre système d’assurance sociale et notre marché de l’habitation. Bien que nous ayons du travail à faire pour que la construction de logements suive le rythme de la formation des ménages, je préfère faire face à cette difficulté plutôt qu’à la multitude d’autres problèmes auxquels se frottent les pays qui n’ont pas le pouvoir d’attraction du Canada.

L’innovation destinée à aider les économies à répondre à la menace du changement climatique ne cesse de croître. Selon le Financial Times, des chercheurs américains ont réalisé dernièrement des gains énergétiques nets lors d’une expérience de fusion. Bien que cette réussite ne soit que le début d’une percée encore incertaine, elle offre de l’espoir pour l’obtention de sources d’énergie sans carbone du vivant de nos enfants ou de nos petits‑enfants.

Mais… hélas… le surintendant étant payé pour s’inquiéter, il me faut être inquiet. Aujourd’hui, je vais vous parler de mes quatre grandes préoccupations, à savoir :

  • le financement de l’habitation;
  • la numérisation des services financiers;
  • les changements climatiques;
  • le règlement des faillites d’assureurs.

L’incertitude croissante présente à la fois un avantage et un inconvénient. Le BSIF vient de redéfinir sa propension à prendre des risques pour tenir compte de cette réalité. Nous croyons qu’en agissant rapidement pour soutenir la réalisation de notre mandat, nous réduirons la fréquence et la gravité d’événements négatifs et nous permettrons aux institutions que nous réglementons de remonter la pente.

Financement de l’habitation

Au Canada, en raison des prix élevés de l’habitation et de la forte hausse des taux d’intérêt et de l’inflation, nombre de Canadiens éprouvent des difficultés croissantes à rembourser leurs emprunts hypothécaires et leurs autres dettes.

Cette année et au cours des trois années suivantes, nous prévoyons que de nombreux débiteurs hypothécaires au Canada renouvelleront leur contrat à un taux d’intérêt sensiblement plus élevé. Heureusement, le BSIF et le ministère des Finances réalisent depuis plusieurs années une simulation de crise des taux d’intérêt hypothécaires, si bien que les débiteurs étaient prêts à faire face à cette situation. La vigueur de l’activité de prêt hypothécaire résidentiel au Canada en 2023 en témoigne.

Cette simulation de crise a donné de bons résultats. Pour autant, elle n’était pas parfaite. Pendant les années de la pandémie, lorsque les taux d’intérêt sont tombés à des planchers historiques, de nombreux débiteurs hypothécaires ont contracté des emprunts hypothécaires à taux variable et à versements fixes. Avec ce produit, les versements mensuels demeurent fixes, tandis que le taux d’intérêt variable fluctue. Nous estimons que l’encours de ce type d’emprunts hypothécaires totalise 369 milliards de dollars canadiens dans un marché hypothécaire de 2,1 billions de dollars canadiens. Les banques qui offrent ces produits ont déclaré qu’environ 260 milliards de dollars canadiens de ce total étaient associés à des niveaux d’amortissement transitoires de plus de 35 ans (j’y reviendrai bientôt).

Lorsque les taux d’intérêt augmentent, ces emprunts à taux variable et à versements fixes atteignent un « taux critique » lorsque les versements fixes ne couvrent que les intérêts, et aucune part du principal. Si les taux dépassent le taux critique, les versements fixes ne couvrent pas les paiements d’intérêts, et le principal impayé du prêt hypothécaire augmente.

On a souvent la fausse impression que la période d’amortissement de ces emprunts s’allonge, surtout parce que les états de compte mensuels des emprunts sont établis selon une période d’amortissement transitoire fondée sur le montant du principal remboursé au cours du mois considéré.

En fait, la période d’amortissement contractuelle ne change pas et les débiteurs hypothécaires devront compenser les remboursements différés du principal au moment du renouvellement de leur contrat. Cela signifie qu’ils risquent de subir un solide choc de paiement. Bien qu’il existe des moyens de réduire ce choc — par du refinancement ou des remboursements volontaires anticipés, pour ne nommer que ceux-là —, je pense que le système de financement de l’habitation donnerait de meilleurs résultats pour les emprunteurs et les prêteurs si ce produit était moins répandu.

Nous examinons ce problème — et d’autres possibilités d’améliorer le financement de l’habitation — à travers le prisme de notre ligne directrice B-20, qui porte sur la souscription de prêts hypothécaires résidentiels.

En fait, nous procédons à un examen complet de la ligne directrice B-20. L’examen porte sur l’amélioration de la qualité du crédit et la souscription des prêts hypothécaires, sur l’élargissement de la portée de la ligne directrice et l’intégration des récentes observations réalisées par le Secteur de la surveillance. Dans le cadre de cet examen, nous avons consulté les parties prenantes du secteur plus tôt cette année au sujet des mesures de remboursement de la dette. D’ici la fin du mois, nous comptons communiquer notre rapport « Ce que nous avons entendu » des parties prenantes. Nous avons aussi consulté nos homologues d’autres territoires, par exemple, au Royaume-Uni, qui ont innové dans le secteur des hypothèques résidentielles pour mieux protéger leurs systèmes de financement de l’habitation, tant en période de prospérité que dans les moments de difficulté.

En octobre, nous partagerons des informations supplémentaires dans la mise à jour semestrielle de notre Regard annuel sur le risque et dans le rapport « Ce que nous avons entendu ».

J’ai laissé entendre plus tôt que la simulation de crise des taux d’intérêt hypothécaires n’était pas parfaite. Peut-être faut-il plutôt la qualifier d’incomplète. En fin de compte, nous voulons avoir un ensemble intégré de protections faisant appel au bon sens, qui s’applique efficacement lorsque les taux d’intérêt sont plus hauts que la normale, comme maintenant, et lorsqu’ils sont plus bas que la normale, comme lors des années de la COVID.

Notre principal objectif est de s’assurer que les propriétaires canadiens ont les moyens de rembourser leur prêt hypothécaire dans les bons moments comme dans les moments difficiles. Notre objectif secondaire est de veiller à ce que les mesures du BSIF aient des répercussions égales sur les institutions que nous réglementons de sorte que tous les prêteurs du système financier fédéral, peu importe leur taille, puissent faire face à la concurrence et prendre des risques raisonnables.

Numérisation des services financiers

L’innovation numérique est en passe de transformer nos modes d’achat et de paiement, notre gestion de l’argent et notre vision de la valeur.

Mais elle présente des risques pour notre système financier, tels qu’une augmentation des risques de liquidité et des risques liés aux pratiques commerciales ou une hausse des cybermenaces.

Les événements survenus dans le milieu des cryptomonnaies nous ont appris le danger de l’innovation financière non réglementée, et pratiquement toutes les pertes extraordinaires dans le milieu des cryptomonnaies au cours de la dernière année ont été subies par des acteurs financiers peu ou pas réglementés.

Selon les recherches du BSIF, la société tire le meilleur parti de l’innovation numérique lorsque les systèmes financiers sont réglementés. Il n’est pas rare que les innovations en matière de services financiers en dehors des systèmes réglementés aboutissent à des catastrophes.

Heureusement, plus tôt cet été, le Conseil de stabilité financière a publié un cadre réglementaire mondial pour les activités liées aux crypto-actifs. Le cadre repose sur le principe « même activité, même risque, même réglementation » et consiste en des recommandations générales pour la réglementation, la surveillance et la supervision des marchés et des activités liés aux crypto-actifs et des dispositifs de cryptomonnaies stables.

Si les pays élaborent leurs propres cadres réglementaires conformément aux recommandations du Conseil de stabilité financière, ils exploiteront le potentiel de l’innovation numérique et limiteront les risques.

Le BSIF fournira sa part d’effort pour aider le Canada à instaurer des politiques conformes aux recommandations générales du Conseil de stabilité financière d’ici la fin de 2025. Cela dit, la plupart de ces travaux se dérouleront dans le cadre de l’examen législatif financier de 2025, sous la direction du ministère des Finances et avec la collaboration du BSIF et d’autres organismes de réglementation.

Alors, quelles autres mesures le BSIF prend-il pour ce qui est du risque lié à la numérisation?

Comme l’annoncent notre rapport Regard annuel sur le risque et notre feuille de route de 2022 sur l’innovation numérique, le BSIF prépare des consignes sur l’innovation numérique à l’intention des institutions financières fédérales.

Par exemple, nous pensons élaborer une politique qui fera en sorte que les institutions financières fédérales seront prêtes à gérer les risques que posent les activités et les dispositifs relatifs aux crypto-actifs se référant à une monnaie fiduciaire.

Par ailleurs, en juillet, nous avons publié deux projets de lignes directrices sur le régime au regard des normes de fonds propres réglementaires et de liquidité visant les expositions sur crypto-actifs; l’une des lignes directrices s’adresse aux institutions de dépôt fédérales, et l’autre, aux assureurs fédéraux.

Les nouvelles lignes directrices, qui tiennent compte des commentaires des instances sectorielles et des normes internationales, remplaceront tôt ou tard le préavis provisoire d’août 2022 et entreront en vigueur au premier trimestre de l’exercice 2025.

Une consultation publique sur ces lignes directrices à l’étude est en cours et prendra fin le 20 septembre 2023.

Changements climatiques

De l’ouragan Fiona au pire épisode d’incendies de forêt de l’histoire du pays, les Canadiens ressentent les effets des changements climatiques, et les institutions financières ne font pas exception.

Non seulement sont-ils confrontés à des risques physiques croissants découlant des phénomènes météorologiques, mais ils sont également confrontés à des risques découlant de la transition inévitable vers une économie à faibles émissions de carbone.

La plupart des experts prédisent une augmentation plutôt qu’une diminution des catastrophes naturelles à l’avenir. Cela pourrait inciter les marchés à accélérer la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Ces deux facteurs augmentent la probabilité de tensions financières à l’échelle du système et de tensions propres aux institutions.

Mon travail consiste à veiller à ce que les acteurs du système financier canadien prévoient et prennent des mesures concrètes pour gérer ces deux types de risques climatiques de manière à renforcer la confiance du public envers ce système.

Comme la plupart d’entre vous le savent, en mars, le BSIF a publié la ligne directrice B-15 sur la gestion des risques climatiques, et au cours de l’été, il a tenu son premier Forum sur le risque climatique.

Ce forum a donné lieu à une consultation sur la version à l’étude des relevés sur les risques climatiques, en partenariat avec la Banque du Canada et la Société d’assurance-dépôts du Canada. La période de consultation se poursuivra jusqu’au 30 septembre.

Les relevés permettront de recueillir des données sur les émissions et les expositions liées au climat directement auprès des institutions financières fédérales.

Cela aidera grandement le BSIF à élaborer des politiques, à réglementer les institutions et à exercer une surveillance prudentielle fondée sur des données probantes en matière de gestion des risques climatiques.

Il y a aussi deux documents que nous publierons cet automne.

Le premier d’entre eux est une version à l’étude de la méthode qui sous-tend l’exercice normalisé d’analyse de scénarios climatiques prévu pour 2024. Il encouragera les institutions financières à renforcer leur capacité d’effectuer des analyses de scénarios.

Le second, que nous publierons plus tard cet automne en partenariat avec la Banque du Canada, résume les résultats d’une étude des conséquences financières du risque d’inondation au Canada.

De plus, dans le budget de 2023, des progrès ont été faits sur l’assurance contre les inondations et nous sommes impatients de poursuivre la mise en place de mesures relatives au risque de tremblement de terre.

En fin de compte, le BSIF envisage les risques climatiques de la même façon que tous les autres risques prudentiels apparus depuis la crise financière de 2008-2009 et il les abordera en se fondant sur les mêmes principes de gestion. Autrement dit, le mandat du BSIF constitue aujourd’hui une plateforme durable qui favorise la saine gestion des risques climatiques dans l’ensemble du système financier canadien.

Règlement des faillites des assureurs

L’environnement de risque incertain a une incidence particulière sur le secteur des assurances.

Au Canada, le cadre actuel de règlement des faillites des assureurs a permis de composer avec les très rares cas d’insolvabilité survenus au cours des 30 dernières années.

Mais des lacunes persistent malgré les travaux récents effectués par la Société d’indemnisation en matière d’assurances incendie, accidents et risques divers et Assuris (les organismes indépendants sans but lucratif qui protègent les souscripteurs canadiens en cas de faillite de leurs fournisseurs d’assurance de dommages ou d’assurance de personnes), et plus particulièrement compte tenu de l’ampleur croissante des événements possibles.

Par exemple, l’an dernier, un incendie de forêt a détruit toute la ville de Lytton, en Colombie-Britannique — une ville paisible d’environ 1 500 habitants où ma famille faisait du rafting en eau vive à l’époque.

Le Bureau d’assurance du Canada a fait savoir que les dommages assurés s’étaient élevés à 78 millions de dollars.

Imaginez maintenant si un événement catastrophique touchait une région métropolitaine plus grande. Pensez à l’incidence d’un tremblement de terre catastrophique en Colombie-Britannique ou au Québec.

En tant qu’organisme de réglementation proactif, le BSIF est conscient de l’urgence de relever ce défi.

Bien que les sociétés d’assurance multirisque fédérales aient, jusqu’à maintenant, été capables de gérer les coûts financiers des catastrophes naturelles les plus probables, nous saisissons l’occasion pour mettre au point notre cadre de règlement des faillites des assureurs afin qu’il puisse aider à gérer ces situations, grâce à un scénario selon lequel des catastrophes à grande échelle provoquent des sinistres assurés extraordinaires.

Depuis 1967, le système bancaire canadien bénéficie de l’existence d’une autorité spécialisée en matière de règlement de faillites, la Société d’assurance-dépôts du Canada. Le système d’assurance du Canada pourrait également gagner à avoir un ensemble d’outils de règlement des faillites similaire, car le gouvernement l’aurait à sa disposition au cas où des événements générateurs de risque feraient en sorte que les assureurs manquent de capitaux.

Entre-temps, nous faisons de bons progrès dans la planification de règlements de faillite d’assureurs. Par exemple, nous communiquons régulièrement avec la haute direction d’Assuris et de la Société d’indemnisation en matière d’assurances incendie, accidents et risques divers pour faciliter les opérations et la transparence et favoriser l’efficacité de la planification de règlements de faillite.

Le BSIF a exigé des groupes d’assurance actifs à l’échelle internationale un plan de redressement, et il leur demandera également d’établir des plans de règlement de faillite et des groupes de gestion de crise.

Par ailleurs, le BSIF a récemment mis sur pied une équipe de préparation aux crises au sein du Secteur de la surveillance, qui agit à titre de centre d’excellence en matière de règlement des faillites et de redressement. Cette équipe est chargée de gérer les relations avec les associations d’indemnisation.

Mais la possibilité de renforcer le régime de règlement des faillites d’assureurs au Canada est aujourd’hui bien à notre portée.

Mot de la fin

Notre environnement de risque s’intensifie; il ne s’atténue pas. Nous devons nous préparer à gérer les risques comme s’ils se matérialisaient demain.

Le nouvel énoncé de la propension à prendre des risques du BSIF l’aidera à prendre ses décisions dans un contexte d’incertitude croissante.

Il dit que nous sommes très enclins à prendre rapidement des mesures pour atténuer les risques et que nous préférerions qu’on nous reproche d’être trop rapides sur la détente que de dormir aux commandes.

Nous n’hésiterons pas à prendre les mesures que nous jugerons nécessaires pour accroître la confiance du public dans le système financier canadien.

Et, conformément à notre nouvelle propension à prendre des risques, nous créerons un nouveau cadre de surveillance, qui entrera en vigueur en 2024. Il s’agira de sa première révision en profondeur des 25 dernières années.

Nous savons aujourd’hui que toutes les institutions n’ont pas le même profil de risque, la même taille, la même complexité opérationnelle, et ce cadre tiendra compte de la question de la proportionnalité. Les institutions que nous réglementons et les Canadiens en apprendront plus à ce sujet en 2024.

Il ne fait aucun doute que l’environnement de risque est de plus en plus complexe. Mais nous ne pouvons pas ralentir la cadence et ne le ferons pas. C’est notre nouvelle normalité.

Merci.