Introduction
Je voudrais d’abord attirer votre attention sur une observation très perspicace concernant le défi du changement climatique, tirée du rapport final du Groupe d’experts sur la finance durable :
« Il n’est pas exagéré de dire que notre avenir dépend de la façon dont nous relèverons ce défi. »
Au bout du compte, nous devrons tous nous adapter à cette nouvelle réalité, y compris le secteur financier.
La forme que prendra cette nouvelle réalité dépendra de nombreuses questions complexes et de nombreux impondérables actuels.
Lorsque nous envisageons le changement climatique, nous le considérons par la lunette du mandat que le Parlement a confié au BSIF à titre d’organisme de réglementation et de surveillance prudentielles du Canada.
Ainsi, nous nous concentrons sur la solidité des banques, des sociétés d’assurances et des régimes de retraite particuliers ainsi que sur la stabilité de l’ensemble du système financier.
Donc, lorsque nous nous penchons sur le changement climatique, nous devons nous poser les questions suivantes :
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Quelle pourrait être l’incidence du changement climatique sur la solidité des institutions financières particulières?
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Quelle pourrait être l’incidence du changement climatique sur la stabilité du système financier?
Et, évidemment :
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Quelles mesures devrions-nous prendre face à ces risques en tant qu’organisme de réglementation et de surveillance prudentielles?
D’autres organismes fédéraux ont pour tâche de trouver réponse à différentes questions importantes, telles les suivantes :
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Quelles politiques permettront le mieux au Canada de tenir son engagement à réduire les émissions de gaz à effet de serre?
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Quelles politiques faut-il adopter pour que nous soyons en mesure de nous adapter aux changements climatiques qui se produiront malgré les efforts déployés pour réduire les émissions?
La tâche assignée au BSIF, et qui lui est propre, est de veiller à ce que les Canadiens continuent de bénéficier de stabilité financière tandis que les risques climatiques se manifestent au Canada.
Alors, comment y parvenir?
À l’instar de nombre de régulateurs du secteur financier de par le monde, nous nous fondons sur une typologie simple mais exhaustive des risques d’instabilité financière que le changement climatique est susceptible de provoquer. Cette typologie comporte trois catégories : risque physique, risque de responsabilité et risque de transition.
Risque physique
Parlons d’abord des risques physiques découlant des conséquences du changement climatique.
Ces risques se rapportent notamment à la fréquence et à la gravité des feux incontrôlés, des inondations, des vents extrêmes et de l’augmentation du niveau de la mer, entre autres phénomènes.
S’agissant du secteur financier, nous constatons que le risque le plus direct est celui de la hausse potentielle des sinistres consécutifs à des dommages matériels que les assureurs seront appelés à régler.
Les dommages matériels causés par le climat sont déjà en hausse au Canada : c’est ce que nous enseignent les feux incontrôlés qui ont frappé l’Ouest canadien et la formation de tornades en Ontario.
Les réclamations pour dommages matériels peuvent augmenter sensiblement même si les événements phénoménaux comme le feu incontrôlé de Fort MacMurray sont rares. La situation est déjà inquiétante lorsque des événements de taille plus modeste deviennent plus fréquents.
Les assureurs canadiens ont déjà une grande expérience de la plupart de ces sinistres.
Toutefois, ni les assureurs ni le BSIF ne peuvent se montrer complaisants devant la possibilité qu’un ou plusieurs assureurs ne soient pas en mesure de supporter une hausse subite de la fréquence ou de la gravité de tels événements.
En outre, les risques physiques ne concernent pas que les assureurs de biens.
À titre d’exemple, les risques physiques pourraient provoquer directement la dévaluation des biens physiques et financiers que possèdent les institutions financières et les régimes de retraite, comme l’immobilier commercial et les fonds de placement dans de tels biens.
Les risques physiques pourraient également faire chuter directement la valeur des actifs que possèdent les institutions financières si les biens donnés en gage par les emprunteurs sont exposés à de tels risques.
Par conséquent, l’une de nos tâches consiste à considérer un éventail de scénarios graves, mais vraisemblables comportant des risques physiques au Canada et à veiller à ce que les institutions y soient préparées.
Risque de responsabilité
Voyons maintenant le risque de responsabilité.
En tant qu’avocats, vous aurez remarqué la multiplication récente des litiges pour cause de changement climatique.
Tous les défendeurs poursuivis auront souscrit une certaine assurance responsabilité civile, si bien que leurs assureurs seront également exposés à des risques.
Le coût d’une réclamation en responsabilité civile au bout du compte est souvent incertain, et les causes peuvent s’étendre sur des décennies.
Si les réclamations en responsabilité civile fondées sur le changement climatique jugées valables sont comparables à celles qui ont fait suite à l’extraction et à l’utilisation de l’amiante, le secteur de l’assurance subira des contrecoups appréciables mais gérables.
Toutefois, nous ne pouvons écarter la possibilité de réclamations en responsabilité civile dues au changement climatique qui sont sensiblement plus coûteuses.
Par conséquent, une autre de nos tâches consiste à confirmer que les assureurs gèrent leur exposition aux réclamations en responsabilité civile de manière à en limiter l’impact éventuel à un montant qu’ils sont en mesure d’acquitter.
Risque de transition
Examinons maintenant ce que j’estime être le risque futur le plus important, à savoir le risque de transition.
Cette forme de risque est engendrée par les efforts engagés pour réduire les émissions de gaz à effet de serre plutôt que par le changement climatique à proprement parler.
Les risques de transition découleront principalement des politiques que les administrations publiques ont déjà adoptées ou qu’elles adopteront pour réduire les émissions.
On peut imaginer également que les changements d’attitude de l’investisseur ou du consommateur donneront lieu à des risques de transition.
Je trouve utile d’imaginer deux « cycles » de risque de transition se rapportant au climat, et même de les situer l’un à la suite de l’autre.
Le premier cycle est caractérisé par l’impact de la transition sur les industries dont les activités, voire les modèles d’affaires au complet, seront fortement et directement perturbées.
Les secteurs d’activité comme ceux de la production de combustibles fossiles, de la production d’électricité et des transports figureront probablement sur la liste, mais ils ne seront certainement pas seuls.
Le second cycle de risque de transition sera la période où la chute des bénéfices et de l’emploi dans les industries perturbées aura des effets en chaîne sur l’économie globale.
Les effets sur l’économie ne seront pas nécessairement tous négatifs. Si nous voulons opérer le passage à une économie à faibles émissions de gaz à effet de serre, nous produirons de nouveaux débouchés alors même que nous ébranlerons des marchés existants. Ces nouveaux débouchés offriront des occasions d’affaires aux institutions financières.
En effet, nous pouvons espérer que l’incidence globale de la situation sur l’économie sera faible, voire positive.
Cependant, à l’heure qu’il est, nous disposons de peu d’information concluante sur l’incidence de la transition au second cycle, car la situation dépend largement des décisions stratégiques futures et de technologies qui n’ont pas encore fait leurs preuves.
Force est de constater que nous disposerons de peu de preuves concluantes tant que la transition ne sera pas bien amorcée.
Nous serions donc prudents de nous préparer à la possibilité d’une transition qui aura un impact économique global fortement négatif, au moins pendant un certain temps.
En tant que régulateur financier prudentiel, il nous incombe de longue date de nous assurer que les institutions financières sont toujours en mesure de poursuivre leurs activités sans interruption en tenant compte d’un éventail de scénarios économiques graves mais vraisemblables.
Nous avons donc déjà analysé en profondeur l’incidence d’une grande crise économique sur le système financier.
Nous avons maintenant pour mission d’évaluer ces préparatifs et de décider s’ils seront adéquats également lorsque l’impact éventuel du changement climatique se fera sentir.
Nous devons nous poser la question suivante :
Même si le système financier est prêt à traverser une récession grave et prolongée, quels moyens pourrait-il encore lui manquer pour pouvoir faire la transition vers une économie à faibles émissions de gaz à effet de serre?
Je crois que trouver réponse à cette question sera le principal défi à relever pour adapter le régime prudentiel aux conséquences du changement climatique dans les années à venir.
Coup d’œil sur l’avenir
Au cours de la trentaine d’années d’existence du BSIF, nous avons fourni aux institutions financières des consignes détaillées sur la gestion du risque.
Ces consignes portent non seulement sur les normes de fonds propres et de liquidité, mais aussi sur la gestion du risque de façon générale, la gouvernance d’entreprise et la communication d’informations financières.
Les consignes actuelles traitent au moins de certaines des mesures à prendre pour protéger le système financier contre le risque physique, le risque de responsabilité et le risque de transition auxquels le changement climatique expose le système financier.
Mais leurs dispositions sont-elles suffisantes?
Heureusement, nous ne sommes pas le seul surveillant et organisme de réglementation financière qui se pose ces questions. Nous échangeons des idées et le fruit de nos expériences pertinentes avec nos homologues partout dans le monde. Par exemple, mes collègues du BSIF participent activement au Sustainable Insurance Forum (forum sur l’assurance durable), un regroupement d’organismes de réglementation financière parrainé par l’ONU. Nous prenons aussi part au travail relatif au climat entrepris par l’Association internationale des contrôleurs d’assurance. Et nous bénéficions également de l’apport de nos collègues de la Banque du Canada aux travaux ayant trait au climat de la Banque des règlements internationaux et du Réseau des banques centrales et des superviseurs pour le verdissement du système financier.
Comme à notre habitude face à un nouveau risque d’importance considérable, nous consultons divers acteurs sectoriels. Si nous décidons de modifier nos lignes directrices, nous les soumettrons à un exercice de consultation avant de les instituer. Ce sont là des mesures particulièrement importantes dans le cadre de notre travail sur les risques du changement climatique.
Nous ferons le point sur notre travail dans ce domaine à mesure que l’année avancera.