Allocution du surintendant Peter Routledge à la conférence virtuelle de l’Association pour l’investissement responsable, le 7 juin 2022

Discours -

Reconnaître notre influence sur l’avenir lointain

L’idée de prendre soin de la terre est un concept magnifique des cultures autochtones. Il fait référence à la responsabilité que nous avons de léguer un monde meilleur à nos successeurs. Comme le dit le vieil adage : « Bénis sont ceux qui plantent des arbres à l’ombre desquels ils ne s’assoiront jamais. »

Il s’agit d’un concept général, alors laissez-moi vous en donner un exemple à une échelle plus personnelle. J’ai un fils de 18 ans qui fera son apprentissage de l’âge adulte au cours de la prochaine décennie. Durant cette période, il trouvera probablement une personne avec qui il aura peut-être des enfants, qui deviendront mes petits-enfants. Je m’attends à être alors vers la fin de la soixantaine ou jeune septuagénaire. Ils pourront donc me connaître jusque dans leur vingtaine, si j’ai la chance de vivre aussi vieux, mais ils ne prendront conscience de mon héritage que bien des années plus tard, après mon décès. Leur vie adulte se poursuivra dans les années 2050 et ils sauront alors si l’objectif Net zéro 2050 a été ou non atteint.

Compte tenu des changements climatiques persistants et inquiétants que subit notre planète, mes petits-enfants jugeront probablement l’héritage que je leur ai légué en évaluant de façon substantielle ce que je fais maintenant, aujourd’hui. Je ne crois pas qu’ils nous verront, le BSIF et moi, comme les principaux instruments d’atténuation du réchauffement planétaire – ce n’est d’ailleurs pas notre raison d’être. Mais j’espère qu’ils me verront comme un surintendant qui a agi promptement pour favoriser une saine gestion des risques climatiques au sein du système financier canadien. J’espère qu’ils me verront comme un surintendant qui a fait ce qu’il fallait pour maintenir la résilience du système financier canadien dans le contexte de la transition économique mondiale qui vise, à s’éloigner des sources d’énergie émettrices de gaz à effet de serre.

Le monde cherche des solutions aux changements climatiques indépendamment du Canada

Un récent rapport provisoire du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de l’ONU indiquait que les progrès relatifs à l’harmonisation des flux financiers avec les voies de faibles émissions de GES demeuraient lents. Toujours selon ce rapport, il existe un écart de financement climatique qui reflète une mauvaise affectation persistante des ressources mondiales.

Il n’est pas surprenant que les investisseurs du secteur privé, tout comme de nombreux autres acteurs du milieu, s’en soient aperçus et qu’ils aient exigé que l’on porte une attention accrue aux risques climatiques dans les institutions où ils investissent. Les institutions financières ont donc été observées au microscope à l’échelle mondiale et toute cette attention n’est jamais autant ressortie que lors de la Conférence des Parties tenue à Glasgow l’an dernier (COP26). En prévision de cette conférence, plus de 450 entreprises du secteur financier mondial, représentant plus de 130 billions de dollars d’actifs, se sont réunies pour former la Glasgow Financial Alliance for Net Zero, ou GFANZ. Outre cette réalisation financière, le Pacte de Glasgow pour le climat de la COP26 a également permis d’obtenir divers engagements nationaux à l’égard des efforts d’atténuation pour atteindre la carboneutralité, des efforts d’adaptation visant à aider les nations touchées par les changements climatiques et de l’accroissement de la collaboration entre les nations en vue de s’acquitter d’un plus grand nombre d’engagements en matière de gestion des risques climatiques. Cette coalition mondiale est d’avis que, pour limiter les hausses de température mondiale à 1,5 degré Celsius au-dessus des niveaux préindustriels, des économies toutes entières, y compris celle du Canada, devront opérer une transition intégrale.

À notre avis, la conclusion la plus importante à tirer de ces faits est que les nations du monde tentent d’atténuer les risques physiques et de transition découlant des changements climatiques, et que ces réactions auront une incidence marquée sur le Canada, son économie et son système financier. Plus précisément, le Canada sera beaucoup plus influencé par les mesures climatiques prises par d’autres nations du monde et aura une incidence moindre sur le mouvement mondial vers les mesures d’adaptation aux changements climatiques.

Comment le BSIF doit-il réagir?

Cette situation crée un nouveau défi pour le BSIF et pour le secteur financier en général. Nous savons que les entreprises et les ménages canadiens devront s’adapter étant donné que les efforts mondiaux de gestion des risques climatiques auront une incidence sur la valeur relative des exportations du Canada. Nous savons que notre système financier doit faire deux choses en réponse à cette réalité : 1) financer les transitions que les entreprises et les ménages canadiens doivent effectuer; et 2) composer avec la volatilité inhérente à cette transition économique plutôt massive.

Ce qui soulève la question suivante : en sa qualité d’organisme de réglementation du système financier, quelles mesures le BSIF prendra-t-il pour intégrer à son mandat ces risques existentiels liés aux changements climatiques?

Réponse et arguments à l’appui 

La réponse la plus simple à cette question est que le BSIF devra consacrer des ressources à l’étude de la question, proposer des façons constructives d’aller de l’avant et solliciter la participation des entités qu’il réglemente et des Canadiens avec une périodicité fréquente et prévisible.

La bonne nouvelle, c’est que nous sommes déjà sur la bonne voie. Au cours de la dernière année, le BSIF a mis davantage l’accent sur les risques climatiques dans le cadre de son Plan directeur de la transformation. De concert avec la Banque du Canada, nous avons réalisé une étude approfondie des scénarios climatiques qui a éclairé notre approche. Nous avons aussi mis sur pied une nouvelle équipe et créé un nouveau Carrefour du risque climatique qui s’articule autour des quatre dimensions suivantes :

  1. Politiques et gestion du risque
  2. Analyse de scénarios et quantification des risques
  3. Analytique, mesure et communication de données
  4. Participation des parties prenantes

Politiques et gestion du risque

La première grande réalisation du Carrefour du risque climatique a été la parution de la version à l’étude de la ligne directrice B-15 sur la gestion des risques climatiques, que nous avons publiée le mois dernier. Cette version provisoire vise à recueillir les commentaires des parties prenantes sur les attentes du BSIF en matière de gestion des risques climatiques à l’égard des institutions financières fédérales – ou ce que nous appelons les IFF. On y énonce les attentes fondées sur des principes en matière de gouvernance, de gestion des risques climatiques et d’informations à fournir auxquelles doivent se conformer les institutions. Nous nous attendons à ce que les conseils d’administration et les dirigeants des IFF élaborent et mettent en œuvre des cadres rigoureux de surveillance et de gestion du risque pour s’attaquer aux risques climatiques. Il s’agit notamment d’assurer un alignement approprié entre les résultats relatifs au rendement climatique et les structures de rémunération. Je demanderais à nos collègues des IFF d’échanger avec nous au sujet de cette ligne directrice – nous faisons œuvre de pionniers et nous cherchons maintenant à mobiliser les différents acteurs et à engager un débat constructif sur la façon dont nous pouvons élaborer et mettre en application une ligne directrice sur la gestion des risques climatiques qui sera considérée comme prudente, responsable et raisonnable par les entités que nous réglementons. Je vous invite à vous pencher dès maintenant sur la question, si ce n’est pas déjà fait. Le grand public est invité à nous faire part de ses commentaires sur la version à l’étude de la ligne directrice B-15 d’ici le 19 août 2022.

Analyse de scénarios et quantification des risques

Les travaux d’analyse de scénarios du BSIF ont déjà commencé. Nous avons collaboré avec la Banque du Canada à la réalisation d’un projet pilote d’analyse de scénarios pour évaluer les risques liés à la transition climatique. Les travaux ont fait intervenir six institutions financières canadiennes, qui ont considéré l’impact de scénarios intentionnellement défavorables, mais plausibles de transition climatique. Les scénarios ont mis en évidence le fait que l’atteinte des objectifs climatiques entraînera d’importants changements structurels pour l’économie canadienne et mondiale, et que tout retard dans le lancement des mesures liées à la politique sur les changements climatiques aura pour effet d’intensifier les répercussions économiques globales et les risques pour la stabilité financière. Le rapport souligne également que lorsque le retardement des mesures liées à la politique sur les changements climatiques est combiné à d’autres épisodes de tension macroéconomique supplémentaires – ou chocs –, l’impact est beaucoup plus prononcé et désordonné. Cela est particulièrement vrai pour les pays comme le Canada, qui dépend largement de l’extraction de combustibles fossiles à forte intensité d’émissions de gaz à effet de serre pour satisfaire ses besoins nationaux et sur le plan de l’exportation. La dépendance du Canada à l’égard des combustibles fossiles pour soutenir l’économie dans son ensemble présentera des défis de transition qui pourraient avoir une incidence sur le PIB national, surtout si les investissements dans les secteurs axés sur les technologies vertes ne font pas d’avancées importantes et n’offrent pas une compensation suffisante.

Nous poursuivons notre collaboration avec la Banque du Canada. Les projets à venir analyseront les répercussions des inondations sur les portefeuilles de prêts hypothécaires résidentiels et les répercussions du risque de transition sur les portefeuilles de prêts et de titres de gros. Au fur et à mesure que nous développons notre capacité de modélisation de scénarios de risques climatiques, nous prévoyons de mener des exercices de scénarios climatiques normalisés pour les institutions réglementées, afin de nous assurer que nous utilisons tous le même plan stratégique.

Nos travaux d’analyse de scénarios nous aideront à déterminer s’il est nécessaire d’accroître notre résilience en matière de fonds propres pour atténuer le risque financier lié au climat et pour maintenir la confiance du public et la stabilité du système financier. D’autres organismes de réglementation commencent également à évaluer la résilience en matière de fonds propres – notamment la Banque d’Angleterre. Ils en sont arrivés à un certain nombre de conclusions intéressantes. La première est que les fonds propres ne sont peut-être pas la solution pour s’attaquer aux causes des changements climatiques, comme les émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, ils ont également constaté que les fonds propres peuvent être efficaces pour s’attaquer aux conséquences des changements climatiques – pour s’attaquer aux risques physiques et de transition. Au BSIF, nous croyons que nous devons également nous pencher sur ces questions, surtout compte tenu de la dépendance économique du Canada envers le secteur des ressources naturelles. Nous devons nous demander si les risques climatiques sont déjà suffisamment intégrés à notre régime de fonds propres, ou si nous devons modifier les outils de fonds propres existants ou en élaborer de nouveaux.

Traditionnellement, l’approche du BSIF consiste à élaborer des exigences relatives aux fonds propres bancaires appelées exigences du premier pilier, en utilisant des données historiques pour déterminer et pondérer les actifs et les expositions afin d’assurer l’adéquation des fonds propres. Toutefois, le secteur financier ne dispose pas actuellement des données climatiques nécessaires, particulièrement en ce qui concerne le risque de transition, pour entreprendre cette analyse. L’élaboration d’une solution du premier pilier nécessitera plusieurs années et nous obligera à adopter une approche novatrice et prospective.

L’option d’une réserve de fonds propres du deuxième pilier offre une mesure palliative plus rapide. La réserve la plus visible du deuxième pilier du BSIF est la réserve pour stabilité intérieure (RSI), qui totalise 2,5 % de l’actif pondéré en fonction des risques de chacune des grandes banques canadiennes – ou ce que nous appelons les BISi. Il convient de souligner que la RSI ne s’applique qu’au secteur bancaire, de sorte que nous devrions réfléchir à la façon dont nous pourrions appliquer les attentes futures en matière de réserve de fonds propres liées au climat dans l’ensemble des secteurs réglementés.

Analytique, mesure et communication de données

La détermination des nouveaux besoins en matière de données pour comprendre les expositions et les soumettre à des simulations de crise ne suffira pas en soi. La version à l’étude de la ligne directrice dont j’ai fait mention établit également des attentes en matière de communication d’informations financières qui sont conformes aux normes mondiales émergentes. Ces normes de communication d’informations financières sont établies par le Conseil de stabilité financière (CSF) par l’entremise de son Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques, ainsi que par l’International Financial Reporting Standards Foundation (IFRS) et son conseil des normes internationales d’information sur la durabilité. Avec tous ces acronymes, il y a de quoi en perdre son latin! Dans le contexte du Canada, la communication des informations financières sur les changements climatiques vise à assurer une transparence pour les parties prenantes du marché en ce qui a trait aux risques climatiques que les IFF canadiennes doivent affronter et à la façon dont elles gèrent ces risques. Cette transparence vise à maintenir la confiance du public et contribue à la stabilité globale du système financier canadien.

Participation des parties prenantes

Enfin, afin de compléter le tour d’horizon des fonctions de son nouveau Carrefour du risque climatique, le BSIF devra mobiliser les parties prenantes d’une manière sans précédent. Les risques climatiques touchent de nombreux secteurs industriels différents qui composent l’économie canadienne. Nous élargirons donc notre modèle de mobilisation traditionnel afin de recueillir la rétroaction des parties prenantes les plus touchées par la transition imminente vers une économie plus verte, en particulier celles issues des secteurs à forte intensité d’émissions qui dépendent des IFF pour leurs services financiers ou qui représentent une part importante des portefeuilles de placements des IFF. Nous sommes conscients d’être au service de tous les Canadiens aux quatre coins du pays, et nous leur promettons d’agir avec transparence et ouverture d’esprit. Nous savons que les coûts d’adaptation ne seront pas les mêmes selon les régions, et nous avons un devoir envers tous les Canadiens de comprendre les répercussions sur leurs économies locales. Nous mettrons donc en œuvre des politiques souples et accélérées en matière de gestion des risques climatiques, de manière à minimiser les inégalités des résultats partout au Canada.

Nous n’avons tiré aucune conclusion ferme sur les fonds propres et nous avons besoin de la rétroaction des instances sectorielles pour nous assurer d’adopter une réglementation judicieuse et efficace en matière de gestion des risques climatiques. Nous sommes ouverts à toutes les issues, y compris celles dans lesquelles nous jugeons que nous bénéficions déjà d’une résilience en matière de fonds propres suffisante pour composer avec la volatilité potentielle dans les années 2030. Toutefois, nous avons besoin que les IFF effectuent leurs propres analyses de scénarios – et nous savons qu’elles participeront volontiers à cet effort. Comme je l’ai mentionné précédemment, il n’appartient pas au BSIF ni même au secteur des placements de devenir les principaux instruments d’atténuation des changements climatiques. Nous comprenons notre rôle et nous poursuivons sur notre voie – mais nous savons aussi que pour nous attaquer efficacement aux enjeux qui transcendent les frontières géographiques, politiques et industrielles, nous devons commencer dès maintenant à nous adapter à la réalité et aux risques liés aux changements climatiques.

Les mesures que j’ai décrites aujourd’hui sont parmi les premières que nous prenons. Nous les prenons en portant notre regard sur l’avenir. Pensons à nos grands-parents (si vous êtes de la génération X comme moi) – la génération qui a surmonté une grande dépression et vaincu le fascisme en Europe – cette génération qui a fait d’énormes sacrifices personnels et pris de grands risques collectifs pour que notre génération (dans un avenir lointain) jouisse d’une meilleure vie.

Nous espérons léguer à nos petits-enfants et à leurs petits-enfants quelque chose de semblable. Un avenir dans lequel les changements climatiques et le réchauffement planétaire ne présentent pas de risques existentiels pour leur bien-être; un avenir sans trop de perturbations financières et offrant de nouvelles possibilités en lien avec les nouvelles technologies et industries qui façonnent notre monde. Je vous invite à me faire part de vos commentaires sur le travail que nous avons effectué jusqu’à maintenant et sur les étapes à venir. Je me ferai maintenant un plaisir de répondre à vos questions.

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