Un penchant pour l’action

Discours - Toronto -

Allocution du surintendant Peter Routledge, Conférence des chefs de direction de banques canadiennes organisée par RBC Marchés des Capitaux, Toronto (Ontario), le 9 janvier 2023

Le texte prononcé fait foi

Merci, Darko, de cette aimable présentation et d’avoir organisé cette conférence. Vous m’avez gentiment invité à prendre la parole ici pour la deuxième année consécutive et cette fois, j’ai le privilège de m’adresser à un public en direct.

Il y a environ trois ans, les dimensions extraordinaires de la pandémie ont commencé à se préciser et il est indéniable que cette crise sanitaire a changé notre pays d’innombrables manières. Surtout, environ 49 000 de nos concitoyens sont décédés à cause du virus de la COVID-19 et je crois qu’il convient de souligner cette perte trois ans plus tard.

Je crois également qu’il est important de reconnaître que notre système financier est sorti plus fort de la pandémie. Ce système a bien servi notre pays pendant les périodes les plus sombres de la pandémie et, malgré les risques visibles et non visibles à l’horizon, j’estime qu’il continuera de le faire dans les années à venir.

Aujourd’hui, j’aimerais profiter de l’occasion pour décrire l’approche que prendra le BSIF pour pouvoir agir rapidement et préserver la résilience du système financier et certaines des répercussions que cela engendrera sur les participants au système financier canadien.

Mais je tiens d’abord à souligner que nous nous trouvons sur le territoire traditionnel de nombreuses Premières Nations, dont les Mississaugas of the Credit, les Anishnaabeg, les Chippewa, les Haudenosaunee et les Wendat. La possibilité qui m’est donnée d’être présent sur ce territoire me remplit de gratitude. Je suis par ailleurs conscient que les personnes qui se joignent à nous aujourd’hui travaillent peut-être sur un autre territoire traditionnel autochtone.

L’établissement de relations de confiance et la réconciliation avec nos concitoyens d’origine autochtone passent indéniablement par une prise de conscience de notre histoire commune.

Le défi du contexte de risque du BSIF

Certes, il est toujours avisé de prendre conscience de l’histoire de façon plus générale.

Je suis entré en fonction à titre de surintendant il y a environ un an et demi. J’ai alors déclaré – et je l’ai répété depuis – que mon mandat reposait sur ce qui suit : un degré d’incertitude accru caractérisera le contexte de risque du BSIF et le mettra au défi de façon imprévue.

J’ai cerné des risques connus et visibles à notre horizon : le marché immobilier et l’endettement des ménages, les changements climatiques, la numérisation des services financiers et les répercussions persistantes de la pandémie. J’ai également signalé que des risques existaient au-delà de l’horizon que nous ne pouvions pas encore voir. Avais-je raison? Examinons les faits.

Depuis mon allocution à cette conférence il y a un an, nous avons été les témoins :

  • de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et une résistance extraordinaire à cette invasion par le peuple ukrainien;
  • d’une accélération de l’inflation, d’une réponse correspondante des banques centrales dont l’intensité ne s’était pas vue depuis les années 1980, et de l’effet de ces phénomènes sur les marchés et les économies;
  • des dernières étapes de la bulle des cryptoactifs, puis de l’éclatement de cette dernière.

Il y a un an, on pouvait à peine prévoir cet état de choses. Par conséquent, je crois que ma prémisse centrale demeure valide, ce qui soulève la question suivante : comment le BSIF doit-il s’adapter à ce contexte de risque périlleux, dans lequel les risques visibles sont assez terrifiants et les risques invisibles au-delà de l’horizon pourraient être encore pires?

La stratégie du BSIF : un penchant pour l’action

À mon avis, il n’y a qu’une réponse possible : baser notre stratégie sur l’action.

Nous préférons agir trop tôt plutôt que d’être critiqués pour être intervenus trop tard. Cela signifie que nous acceptons le risque de nous engager trop tôt pour réduire au minimum les risques découlant d’une intervention tardive. Nous croyons que c’est ainsi que le BSIF aidera à maintenir et à assurer la résilience et contribuera à préserver la confiance du public envers le système financier canadien.

Je comprends très bien qu’un organisme de réglementation proactif peut donner à certains participants du secteur des raisons de marquer un temps d’arrêt et pourrait même susciter des préoccupations. La transparence est un moyen efficace d’atténuer ces préoccupations compréhensibles. Par là, nous entendons la communication des plans d’adaptation du BSIF et d’indications claires sur sa perception de l’environnement de risque.

À cette fin, nous avons publié en avril dernier un document que nous appelons Regard annuel sur le risque; il décrit les principaux risques dans notre environnement et nos réponses prévues en matière de réglementation et de surveillance.

Bien entendu, compte tenu de la nature imprévisible de notre environnement de risque, nous avons publié une mise à jour de ce document seulement six mois plus tard, soit beaucoup plus tôt que ce qu’implique l’adjectif « annuel ».

Bien qu’il puisse sembler étrange de mettre à jour un document annuel plus d’une fois par année, c’est la bonne façon de s’adapter à l’incertitude qui marque notre environnement de risque. Et la périodicité de ce bulletin deviendra semestrielle dans un avenir prévisible. Nous continuerons également d’utiliser des plateformes publiques comme celle-ci, car il s’agit d’un autre outil pour accroître la transparence de notre orientation en tant qu’organisme de réglementation.

Toutefois, notre penchant pour l’action signifie que le BSIF s’adaptera ou changera de cap plus facilement et plus fréquemment que par le passé. Il s’agit là d’une adaptation nécessaire et responsable face à l’incertitude qui caractérise notre environnement de risque. Vous verrez donc un organisme de réglementation des institutions financières plus dynamique et plus actif.

Permettez-moi de prendre le reste du temps qui m’est accordé pour faire le point sur ce que le BSIF prévoit de faire en 2023. Pour renforcer la résilience et l’état de préparation du système financier, nous allons :

  1. veiller à ce que les IFF demeurent bien capitalisées et conservent suffisamment de liquidités et de réserves pour supporter les chocs;
  2. faire progresser la résilience du système financier canadien en tenant compte des risques physiques et de transition, et, surtout, des possibilités découlant des changements climatiques;
  3. améliorer la capacité de notre système financier à absorber les possibilités et les risques engendrés par la numérisation des services financiers;
  4. insister davantage sur la façon dont une gouvernance institutionnelle inadéquate peut rapidement se transformer en risque prudentiel.

J’aimerais maintenant approfondir ces sujets.

1. Veiller à ce que des réserves soient en place pour que les IFF puissent supporter les chocs

Comme vous le savez, nous avons amorcé ces travaux en décembre, comme le soulignait notre annonce concernant la réserve pour stabilité intérieure (RSI). À compter du 1er février, la RSI sera fixée à 3,0 % du total des actifs pondérés en fonction du risque, de sorte que la proportion de fonds propres de catégorie 1 sous forme d’actions ordinaires sera de 11 % pour toutes nos banques d’importance systémique intérieure.

Nous avons décidé d’augmenter le niveau de la RSI après avoir constaté que les vulnérabilités systémiques ont persisté à des niveaux élevés et, dans certains cas, qu’elles ont considérablement augmenté au cours des derniers trimestres. Nous croyons également que ces vulnérabilités demeureront présentes en 2023, et donc, conserver des fonds propres supplémentaires constitue une mesure prudente.

De plus, nous avons également établi une fourchette plus large de 0 % à 4 %, pour la RSI, créant ainsi une plus grande capacité à réagir à l’augmentation des vulnérabilités si cela s’avérait nécessaire.

Ces ajustements de la RSI sont peut-être les exemples les plus évidents de notre intervention précoce. En augmentant à la fois le taux et la fourchette de la réserve, le BSIF a fait en sorte que nos plus grandes banques soient mieux préparées à toute période d’incertitude potentielle en leur donnant une plus grande capacité d’atténuer les répercussions économiques découlant des scénarios graves, mais plausibles qui pourraient se profiler à l’horizon.

La RSI signifie aussi une responsabilité pour le BSIF, soit celle de se rappeler qu’il s’agit d’une réserve, d’un fonds pour « les mauvais jours » dont on se sert en période difficile.

Cent mille (100 000) emplois ont été créés en décembre. Nous ne connaissons donc pas une période difficile, malgré ce que nous voyons tous les jours aux nouvelles. Si l’économie se détériore, nous avons des réserves de fonds propres qui nous permettront de braver la tempête avec résilience. En phase avec la notion selon laquelle nous préférons accepter les risques associés aux interventions précoces plutôt que d’être critiqués pour une réponse tardive, nous agirons avec assurance quand viendra le temps d’utiliser les réserves de fonds propres.

En outre, une semaine plus tard, nous avons annoncé que nous maintenions nos attentes concernant le taux admissible minimal (TAM) pour les prêts hypothécaires non assurés selon les critères suivants : le taux hypothécaire contractuel majoré de 2,0 % ou 5,25 %, selon le plus élevé des deux. La ministre des Finances a retenu les mêmes critères comme exigence pour les prêts hypothécaires assurés directement ou ultimement garantis par le gouvernement fédéral.

Le TAM a été une mesure utile, et bon nombre d’observateurs conviennent que les tensions que nous observons dans le système financier auraient pu être bien pires sans ce mécanisme.

Toutefois, bien que le TAM soit certes un mécanisme efficace, il n’est pas le seul outil dont le BSIF dispose pour assurer une saine souscription de prêts hypothécaires résidentiels et une saine gestion des risques associés au crédit hypothécaire résidentiel.

Nous savons également que nous devons constamment réexaminer nos lignes directrices pour garantir qu’elles demeurent adaptées à l’objectif et qu’elles constituent la meilleure mesure pour nous protéger contre les menaces à venir dans l’environnement de risque.

C’est pourquoi, dans quelques jours, le 12 janvier, le BSIF lancera un examen de sa ligne directrice B-20, Pratiques et procédures de souscription de prêts hypothécaires résidentiels.

Beaucoup de choses ont changé depuis la publication initiale de ces consignes et nous nous devons de regarder vers l’avenir et d’ajuster nos stratégies pour être prêts et agir avant que des problèmes surviennent.

Pour vous donner plus de contexte, le TAM a permis de constituer une marge de sécurité dont le but est de parer les IFF aux risques associés à l’endettement élevé des consommateurs. La question que nous nous posons est la suivante : est-ce suffisant?

Nous nous pencherons donc sur un large éventail de mécanismes de remboursement de la dette, notamment des restrictions du ratio dette- revenu, des restrictions relatives à la couverture du remboursement de la dette, de même que l’outil actuel de simulation de crise de taux d’intérêt.

2. Poursuivre les travaux visant à parer au risque climatique

De même, vous pouvez déceler notre « penchant en faveur de mesures précoces » dans l’approche que nous avons adoptée à l’égard des préoccupations prudentielles entourant le risque climatique.

Selon moi, la raison d’être de cette approche est décrite le plus clairement dans le rapport conjoint de la Banque du Canada et du BSIF sur les scénarios de risque, qui montre qu’au chapitre de la gestion du risque climatique, l’incidence d’agir tôt diminue considérablement l’effet négatif sur l’économie et l’environnement macroéconomique.

Plus la réduction des sources d’énergie émettrices de gaz à effet de serre s’effectuera de façon progressive à l’échelle mondiale, mieux s’en portera la transition du Canada. Elle ne sera pas facile, loin de là, mais nous serons dans une meilleure position.

Nous devons nous préparer à l’éventualité où les progrès vers la réduction ou la transition vers l’abandon des sources d’énergie à forte émission de gaz à effet de serre seraient retardés ou ralentis et qu’ils s’accéléreraient ensuite soudainement. C’est le risque que je léguerai à mon successeur. Il est temps de se prémunir contre ce risque.

L’automne dernier, nous avons mis fin à nos consultations sur la ligne directrice B-15, qui énonce nos attentes au sujet de la gestion du risque climatique par les IFF, et au cours desquelles nous avons observé un niveau sans précédent de sensibilisation et de participation d’un bout à l’autre du pays.

Nous prévoyons de publier la version finale de la ligne directrice B-15 plus tard au printemps; nous y préciserons davantage nos attentes prudentielles en matière de gestion du risque financier lié au climat pour les IFF.

Alors que les organismes internationaux de normalisation poursuivent leurs travaux, nous avons décidé d’agir plus tôt et de publier nos consignes sur les exigences et les attentes prudentielles et de les mettre à jour lorsque l’orientation des organismes de normalisation sera connue. Nous préférons nettement être trop préparés et revoir notre position, plutôt que de ne pas en faire assez et devoir ensuite recommencer.

Je pense qu’il est important de souligner également le fait qu’une gestion saine du risque climatique implique des mesures qui prennent en compte les possibilités ainsi que les risques.

La transition du Canada reposera en partie sur notre réponse aux possibilités inhérentes de l’adoption de sources d’énergie n’émettant pas de gaz à effet de serre.

À cette fin, nous attendons avec impatience les travaux du Conseil d’action en matière de finance durable au nom des ministres des Finances et d’Environnement et Changement climatique Canada, surtout en ce qui a trait au cadre de taxonomie. En effet, nous avons l’intention de l’utiliser dans nos travaux continus afin de nous assurer que nos règles de fonds propres tiennent compte à la fois des possibilités et des risques liés au changement climatique.

3. Adopter une approche proactive à l’égard des risques posés par la numérisation des services financiers

La numérisation des services financiers est un autre domaine dans lequel nous savons que, surtout à la lumière des événements de 2022, les risques n’ont pas disparu. Et ce qui importe peut-être plus encore, ils continuent de suivre leur propre dynamique. 

Nous n’avons pas le luxe d’attendre que « les choses se calment » ou d’avoir de meilleures données ou une idée plus claire de l’orientation future pour faire quelque chose. Nous devons notamment être prêts et disposés à agir sur la base des meilleurs renseignements dont nous disposons actuellement pour éviter d’intervenir trop tard.

Là encore, le BSIF y est notamment parvenu en adoptant une approche « évolutive » à l’égard des consignes afin de pouvoir communiquer rapidement ses attentes au secteur.

Par exemple, l’été dernier, nous avons publié une approche provisoire pour les exigences de fonds propres et de liquidité en ce qui concerne les cryptoactifs. Tout comme pour le risque climatique, cette approche a été publiée avant l’établissement de normes internationales. Nous pourrions mettre à jour ces exigences au besoin en 2023, lorsque nous recevrons la nouvelle orientation.

Plus récemment, nous avons continué d’agir lorsque, de concert avec l’Agence de la consommation en matière financière du Canada et la Société d’assurance-dépôts du Canada, nous avons publié une déclaration commune pour réaffirmer que toutes les entités qui souhaitent participer à des activités liées aux cryptoactifs doivent suivre nos lignes directrices existantes. Nous adoptons l’approche selon laquelle le même type d’activités qui présente les mêmes risques doit être traité et réglementé de la même manière.

Parallèlement, nous avons publié notre Feuille de route sur l’innovation numérique, notre approche proposée pour surveiller et réglementer l’innovation numérique et les cryptoactifs.

Pour être clair, ce travail n’est pas motivé par un incident particulier, mais plutôt par notre objectif d’être prêts à réagir aux risques visibles et imprévus à l’horizon.

4. Mettre l’accent sur le rôle du risque lié à la gouvernance

La gouvernance organisationnelle et les normes de comportement sont un catalyseur pour une prise de décisions judicieuse, une prise de risques prudente et une gestion efficace du risque. Par conséquent, la culture et la gouvernance d’une IFF peuvent représenter un avantage concurrentiel ou un accélérateur de risque d’atteinte à la réputation. L’histoire nous enseigne que lorsque le risque d’atteinte à la réputation d’une IFF s’intensifie, il s’ensuit souvent d’importants coûts financiers pour tous les intervenants de l’IFF.

Le BSIF reconnaît ce fait depuis longtemps et a mis au point un certain nombre de mesures, dont la plus récente est l’élaboration d’attentes prudentielles incitant les IFF à gérer le risque lié à la gouvernance en amont.

Nous prévoyons de publier ces consignes provisoires sur nos attentes aux fins de consultation au début de l’année prochaine. Nous avons l’intention de publier la version finale de la ligne directrice accompagnée d’un outil d’autoévaluation pour les IFF à la fin de 2023.

Nous savons tous que nous devons en faire plus, c’est pourquoi nous comptons également sur les conseils d’administration, et nous nous attendons à ce qu’ils améliorent leur supervision de la culture des IFF en tant qu’élément fondamental de leur responsabilité en matière de gouvernance.

Au BSIF, nous comptons sur le fait que les conseils d’administration jouent ce rôle important de gestionnaires responsables et éclairés, prêts à protéger les valeurs de franchise de leur institution, surtout lorsque les risques s’accentuent.

De fait, nous nous attendons à ce qu’ils s’intéressent particulièrement au long terme et considèrent que les sommes allouées maintenant aux marges de sécurité en termes de fonds propres ou de liquidité ou à toute autre marge de sécurité non financière, ne sont pas un coût, mais bien un investissement durable dans la valeur à long terme de leur institution. Si un conseil d’administration manque à son devoir, il fait défaut à ses parties prenantes : clients, créanciers, actionnaires.

Bien que ce risque ne soit généralement connu du public que dans des cas extrêmes, il peut souvent être retracé comme la cause profonde de nombreux risques auxquels une IFF est confrontée. En fait, à première vue, un risque peut sembler être de nature financière ou prudentielle, alors qu’en réalité, il ne fait que masquer un problème de gouvernance. Voilà pourquoi nous devons être plus dynamiques dans la gestion de ce risque – nous devons le contrer avant que ne surgisse un sérieux problème prudentiel. Nous sommes convaincus que les administrateurs d’IFF au Canada sont conscients de leurs devoirs et qu’ils font preuve d’humilité devant le risque d’atteinte à leur propre réputation que poserait la faillite de leur institution.

Conclusion

Dans tous ces exemples, le BSIF a agi et continuera d’agir pour que le système financier canadien demeure résilient. Le risque le plus insidieux de tous serait de relâcher notre vigilance. Bien que nous ne puissions prévoir les risques ou la façon dont ils se concrétiseront en préoccupations prudentielles, nous pouvons nous assurer d’être prêts à les relever de front en agissant tôt.

Je vous remercie. Je serai heureux de répondre à vos questions.