Peter Routledge participe à un entretien informel à l’occasion de la Conférence nationale sur l’assurance au Canada 2025

Discours - Gatineau -

L’allocution prononcée fait foi

Animatrice :

Le système financier canadien affiche un niveau de résilience historiquement élevé, mais la croissance annuelle de la productivité est bien inférieure à la moyenne de l’OCDE. Il y a 20 ans, le Canada se classait au 4e rang mondial pour ce qui est de la facilité de faire des affaires. En 2020, nous avions glissé au 23e rang. Sur le plan de la réglementation des marchés des produits, nous sommes au 28e rang parmi les pays de l’OCDE, autrement dit sous la moyenne. Peut-on faire un lien entre résilience financière et baisse de productivité? Dans l’affirmative, est-ce que nous avons été trop loin? Devons-nous changer d’approche?

Surintendant – Peter Routledge :

  • Tout d’abord, je tiens à souligner que, ces 15 dernières années, l’action du BSIF a permis de renforcer durablement la résilience du système financier canadien. Cette résilience représente aujourd’hui un avantage stratégique dont il faut tirer parti pour soutenir la croissance de l’économie canadienne. Un système financier solide et stable, ce n’est pas seulement une mesure de protection, c’est un catalyseur de la prospérité nationale.
  • La résilience prudentielle et la compétitivité du Canada ne sont pas incompatibles. Au contraire, la résilience est un terreau de croissance. Comme je l’ai dit dans la déclaration publiée le mois dernier, la résilience du système financier est essentielle à la vigueur de l’économie.
  • Au BSIF, nous nous sommes imposé une discipline annuelle consistant à améliorer nos lignes directrices et préavis en cherchant des possibilités d’éliminer les activités qui représentent un fardeau inutile. Nos priorités sont claires : réduire le fardeau réglementaire dans la mesure du possible, mettre davantage l’accent sur les risques les plus importants et voir à ce que les institutions demeurent résilientes dans un monde incertain.
    • Les mesures prises récemment cadrent avec l’équilibre recherché. Nous avons notamment réduit les exigences de capital qui s’appliquent à des projets d’infrastructure remplissant certains critères. Ce changement ciblé permet de dégager des ressources sans affaiblir les mesures de protection.
    • Nous avons également mis en pause les augmentations du niveau du plancher d’actifs pondérés en fonction du risque de Bâle III afin de garantir des conditions de concurrence équitables et de donner de la prévisibilité aux banques canadiennes. Ces mesures sont conformes à notre objectif d’efficacité et cadrent avec l’examen du fardeau administratif qui a été lancé par le gouvernement du Canada.

Animatrice :

Comme il s’y était engagé, le premier ministre a fait adopter une loi visant à assurer l’unité et la vigueur de l’économie canadienne et à éliminer les obstacles qui depuis longtemps fragmentent notre économie et réduisent les débouchés. On constate que d’autres pays réorientent leur approche réglementaire afin de soutenir la croissance économique. Au Royaume-Uni, par exemple, le gouvernement cherche à réduire de 25 % les frais d’administration liés à la réglementation pour accroître la productivité et favoriser l’innovation. Du côté de l’Union européenne, la Commission a pris l’engagement de réduire les obligations de déclaration de 25 %, et d’au moins 35 % pour les petites et moyennes entreprises. Envisagez-vous des mesures similaires pour réorienter l’approche du BSIF sur le soutien de la croissance?

Surintendant – Peter Routledge :

  • Si la définition de règles prudentielles reste notre mission principale, résilience et croissance ne sont pas pour autant incompatibles. Nous visons une réglementation efficace, autrement dit, nous voulons simplifier les consignes, éliminer les demandes à faible valeur ajoutée et donner de la prévisibilité afin que les banques et les assureurs puissent investir et innover, tandis que nous préservons la résilience du système. Comme je l’ai dit dans ma lettre d’information sectorielle du mois dernier, le but n’est pas d’en faire moins, mais de faire les choses plus intelligemment.
  • Nous avons simplifié l’ensemble de règles et réduit le rythme. Nous avons retiré 20 lignes directrices et préavis désuets. Nous avons fixé les dates des Publications trimestrielles et des Journées d’information qui s’ensuivent pour donner plus de prévisibilité. Enfin, nous réduisons la portée et la fréquence de certaines demandes d’informations et annulons certains exercices de collecte de données sans valeur prudentielle qui datent de la période de la pandémie, ce qui permettra de dégager des ressources.
  • Nous avons apporté des ajustements ciblés au chapitre du capital qui permettent de maintenir des mesures de protection tout en favorisant l’investissement productif. Plus précisément, nous avons reporté la prochaine révision de la ligne directrice Test de suffisance du capital des sociétés d’assurance vie, ou TSAV, à une date ultérieure (après 2028) et réduit les exigences de capital qui s’appliquent aux titres de créance et aux titres de capitaux propres liés à des projets d’infrastructure au Canada remplissant certains critères. Ce sont des changements mesurés qui permettre de dégager des capacités au bilan sans compromettre la résilience.

Animatrice :

Ces dernières années, la question climatique et les informations connexes à fournir sont une des priorités du BSIF, et un engagement important de la part des assureurs. En vertu de la ligne directrice B-15, les assureurs se préparent à communiquer publiquement leurs émissions et à établir des cadres de gestion des risques climatiques. Mais ils ont aussi eu à produire des relevés sur les données climatiques et à mener un exercice normalisé d’analyse de scénarios climatiques, ce qui a demandé beaucoup de temps et d’efforts aux assureurs. Pouvez-vous nous parler du but ultime de toutes ces mesures liées au climat? Votre réflexion a-t-elle évolué un peu sur la manière dont le BSIF envisage les risques climatiques par rapport à d’autres risques?

Surintendant – Peter Routledge :

  • Les risques climatiques sont des risques financiers qui doivent être évalués avec plus de précision afin que les conseils d’administration et les hauts dirigeants puissent les intégrer aux stratégies d’affaires et aux cadres de gestion du risque des institutions.
  • La ligne directrice B-15, l’exercice normalisé d’analyse de scénarios climatiques (ENASC) et les relevés sur les risques climatiques sont autant d’éléments qui permettent aux assureurs de renforcer leurs capacités à quantifier les risques.
  • Toutefois, nous savons qu’il reste du travail à faire pour augmenter ces capacités. Soulignons notamment que moins de la moitié des assureurs multirisques ont déclaré avoir déjà réalisé une analyse de scénarios climatiques axés sur les risques physiques avant la tenue de l’ENASC. Ce chiffre est encore plus bas pour les institutions de dépôt et les assureurs vie.
  • Par ailleurs, nos travaux ont révélé que, hors secteur de l’assurance multirisques, très peu d’institutions financières procèdent au géocodage de leurs expositions. C’est une lacune importante à l’heure où les risques physiques liés aux changements climatiques augmentent en fréquence et en gravité. L’analyse géospatiale est essentielle pour évaluer l’exposition et la vulnérabilité des biens, et pour veiller à ce que ces risques soient évalués avec précision et correctement chiffrés.
  • Notre réflexion a effectivement évolué ces dernières années. Nous considérons par exemple désormais que les risques de catastrophe incluent les risques climatiques et les risques de tremblement de terre. Nous envisageons de nombreuses possibilités de synergies et des moyens d’appliquer ce que nous avons appris sur la quantification des risques physiques liés aux changements climatiques aux risques de tremblement de terre.

Animatrice :

Vous avez dit que les risques qui vous préoccupaient le plus étaient les risques « silencieux ». Le ministre de l’Intelligence artificielle et de l’Innovation numérique a déclaré que « l’intelligence artificielle est un moteur puissant de croissance, de productivité et d’innovation. Elle est essentielle pour s’assurer que le Canada soit non seulement concurrentiel sur la scène mondiale, mais qu’il occupe le premier plan ». Compte tenu de la mission du gouvernement de favoriser la croissance, quelle est l’approche du BSIF à l’égard de l’IA?

Surintendant – Peter Routledge :

  • L’IA promet certes des gains d’efficacité et des avancées, mais de notre côté, nous envisageons l’IA sous un angle prudentiel. Notre priorité est d’assurer une bonne gestion des risques liés à l’intégrité et à la sécurité (comme le cyberrisque, la gouvernance des données et les dépendances à l’égard de tiers) et de veiller à ce que les conseils d’administration puissent comprendre et encadrer le fonctionnement des modèles d’IA ou, en d’autres termes, l’explicabilité des modèles. Si les conseils d’administration ne sont pas en mesure d’expliquer ou de superviser les outils utilisés, c’est un risque pour la résilience.
  • Nous renforçons les capacités du BSIF pour mieux comprendre ce qui suit :
    • Les effets de l’IA sur les risques dans l’ensemble du système financier, sachant que l’IA vient amplifier et transformer des risques déjà présents, notamment le risque de marché et le cyberrisque.
    • Comment l’IA influe sur la prise de décisions et la résilience opérationnelle.
  • Notre approche est fondée sur des principes : nous attendons des institutions qu’elles recensent et gèrent les risques liés à l’IA dans le cadre de leurs pratiques de gestion du risque d’entreprise, et à ce que le conseil d’administration soit tenu de rendre des comptes. Ainsi, les institutions peuvent innover, et les mesures de protection prudentielles restent en place.
  • Il est essentiel de se tenir au courant des tendances et des menaces dans ce domaine. C’est pour cela que nous collaborons activement avec les parties prenantes du secteur. Par exemple, cette année, nous codirigeons la deuxième édition du Forum sur l’intelligence artificielle dans le secteur des services financiers qui réunit le ministère des Finances, l’Agence de la consommation en matière financière du Canada, le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE), le Global Risk Institute (GRI) et le BSIF. Le 2 juillet, nous avons publié un rapport conjoint qui résume les conclusions de l’atelier que nous avons organisé sur la sécurité et la cybersécurité en lien avec l’IA. Cet automne, nous organiserons trois autres ateliers pour étudier les répercussions de l’IA sur la criminalité financière, la stabilité financière et la protection des consommateurs.

Animatrice :

Question de suivi : Pouvez-vous ressortir votre fameuse boule de cristal et nous parler des risques à venir qui, selon vous, nous empêcheront de dormir dans les prochaines années?

Surintendant – Peter Routledge :

  • Nous allons publier la mise à jour semestrielle du Regard annuel sur le risque le mois prochain. Dans le Regard annuel sur le risque de 2025, les menaces à l’intégrité et à la sécurité font partie des grandes priorités sur le plan de la surveillance. Or, le changement radical du contexte géopolitique cause de l’incertitude. Qui plus est, l’évolution rapide des technologies et la dépendance à l’égard de tiers rendent les institutions financières vulnérables aux cyberattaques, aux interférences étrangères et aux risques liés à l’intégrité. Ces menaces ne relèvent plus désormais du domaine de la fiction, elles pourraient ébranler la confiance et la stabilité financière. En effet, ces risques liés à l’intégrité et à la sécurité peuvent exposer les banques et les assureurs à des pertes financières et porter atteinte à leur réputation.
  • Nous observons une intensification des attaques par rançongiciel, des fuites de données et des activités de malfaiteurs à la solde d’un État. Or, l’IA accélère le rythme et accroît l’ampleur de ces menaces. Au BSIF, nous avons mis sur pied une équipe spécialisée chargée de l’intégrité et de la sécurité nationale qui nous aide à intégrer différents risques liés à l’intégrité et à la sécurité au cadre de surveillance.
  • Nous communiquons désormais plus directement avec les institutions au sujet de ces risques, par l’intermédiaire d’examens thématiques, d’inspections ciblées et de notre collaboration avec les organismes de sécurité et de renseignement du Canada. Le but est d’aider les institutions à consolider leurs pratiques de gouvernance et de supervision des tiers, et leur cyberrésilience.
  • En période de volatilité, nous ne pouvons pas surveiller seuls les institutions. C’est pourquoi nous avons organisé en 2024 un forum d’échange de renseignements classifiés sur les menaces pour la sécurité nationale avec le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et le Centre de la sécurité des télécommunications (CST), en vue d’informer les institutions sur les nouvelles menaces. Ces séances se poursuivront.
  • Le système financier est une cible stratégique. Notre mission est de veiller à ce que les institutions soient préparées et résilientes face à un risque géopolitique accru et à l’évolution des risques liés à l’intégrité et à la sécurité, qu’ils soient liés aux droits de douane, au protectionnisme commercial ou à l’incertitude qui règne sur le marché mondial de manière plus générale.

Peter Routledge, surintendant du BSIF (gauche), Celyeste Power, présidente et chef de la direction, Bureau d’assurance du Canada (droite) à la Conférence nationale sur l’assurance au Canada 2025.