Surintendant Peter Routledge participe à un entretien informel dans au Credit Outlook de Morningstar DBRS

Discours - Toronto -

L'allocution prononcée fait foi

Animateur :

Q1. Aux États-Unis, on observe une adhésion de plus en plus forte aux cryptomonnaies, qui fait écho à l’objectif de l’administration Trump de devenir un chef de file mondial dans ce secteur et aux signes d’adoption croissante par les grandes banques américaines. Quelle est la position du BSIF concernant les cryptomonnaies et qu’est-ce que cela pourrait signifier pour les institutions financières canadiennes?

Surintendant Peter Routledge :

  • Nous savons tous que les nouvelles technologies peuvent se répandre comme une traînée de poudre une fois que leur adoption est amorcée. C’est ce qui se produit actuellement aux États-Unis avec les actifs numériques, surtout depuis la promulgation de la loi GENIUS.
  • Nous remarquons également que des innovations liées aux cryptomonnaies stables font leur apparition au Canada.
  • Il est important de ne pas oublier que les cryptomonnaies stables ne sont pas vraiment des « actifs »; ce sont des passifs. Il s’agit de promesses qui doivent être garanties, et ces promesses comportent des risques prudentiels. Certains produits entrent dans le périmètre de la réglementation, d’autres non. Or, pour préserver la résilience, il vaut bien mieux que ces innovations soient conçues dans un système réglementé.
  • Au BSIF, notre rôle n’est pas de donner des directives aux institutions concernant les innovations financières. Notre rôle est de favoriser la sûreté et la solidité du système, tout en permettant aux banques fédérales de faire face à la concurrence et de prendre des risques raisonnables.
  • Notre propension à prendre des risques a été conçue pour être axée sur la prudence. Pour autant, nous ne devons pas fermer la porte à l’innovation. En effet, si le Canada accuse un retard en matière d’innovation financière, il risque également de se faire distancer sur le plan économique. La meilleure solution est donc une innovation responsable à l’intérieur du périmètre réglementé.

Animateur :

Q2. Pouvez-vous nous donner une vue d’ensemble des principes qu’a établis le BSIF pour favoriser une adoption responsable de l’intelligence artificielle (IA) dans le secteur financier? Comment les banques et les sociétés d’assurance peuvent-elles adopter l’IA tout en gérant les risques? Et comment le BSIF utilise-t-il l’IA dans son processus décisionnel?

Surintendant Peter Routledge :

  • L’IA a le potentiel de multiplier la productivité, que ce soit celle des institutions que nous réglementons ou la nôtre. À l’interne, nous utilisons des données et des outils d’IA dans des cas d’utilisation ciblés. Je compare souvent l’IA à Internet : elle changera le fonctionnement des services financiers et son adoption se fera à un rythme rapide.
  • Pour les institutions financières, l’IA comporte des risques. Un modèle d’IA mal géré, surtout s’il est utilisé pour prendre des décisions cruciales, pourrait même contribuer à la faillite d’une institution. C’est pourquoi gouvernance, encadrement et responsabilisation sont si importants.
  • Mon principe directeur est « Surtout, ne pas nuire. » Nous laisserons aux institutions la marge de manœuvre nécessaire pour innover, tout en faisant preuve de vigilance pour déterminer et gérer les risques importants à mesure qu’ils émergent.
  • Avec Global Risk Institute, nous discutons de ces questions avec les professionnels du milieu dans le cadre de la deuxième édition du Forum sur l’intelligence artificielle dans le secteur des services financiers (FIASSF). Ces échanges nous aident à définir des principes pour assurer une utilisation responsable de l’IA, notamment sur le plan de la transparence, de l’équité, de la sécurité et de la responsabilisation.
  • Les discussions qui ont eu lieu lors du FIASSF ont ensuite conduit à l’élaboration des principes EDGE, soit l’explicabilité, les données, la gouvernance et l’éthique :
    • L’explicabilité permet aux clients et aux parties prenantes de comprendre comment un modèle d’IA arrive aux résultats produits.
    • Les données utilisées par l’IA permettent aux institutions financières de proposer des produits et services ciblés et personnalisés à leurs clients ou aux parties prenantes. Elles permettent également d’améliorer la détection des fraudes, l’analyse et la gestion des risques, la prise de décisions, en plus de stimuler l’efficacité opérationnelle.
    • La gouvernance garantit l’existence d’un cadre qui sert de fondation à la culture de responsabilisation à l’égard de l’utilisation de l’IA dans une organisation.
    • L’éthique encourage les institutions financières à prendre en compte les retombées sociétales plus larges de leurs systèmes d’IA.

Animateur :

Q3. Nous assistons actuellement à un assouplissement de la réglementation bancaire aux États-Unis ainsi qu’à des retards dans l’adoption des réformes de Bâle III dans de multiples pays. Compte tenu du contexte actuel de guerre commerciale et de ces différences entre pays, comment le BSIF met-il en balance prudence de la réglementation et équilibre concurrentiel pour les banques dans les décisions qu’il prend?

Surintendant Peter Routledge :

  • Ces 15 dernières années, l’action du BSIF a permis de renforcer durablement la résilience du système financier canadien. Nous demeurons pleinement engagés dans nos travaux liés à l’intégrité, à la sécurité et aux autres risques non financiers, car ils sont essentiels pour la résilience et la fiabilité du système financier.
  • Comme vous le savez, plus tôt cette année, nous avons mis en pause les augmentations du niveau du plancher d’actifs pondérés en fonction du risque de Bâle III. Les banques canadiennes peuvent ainsi livrer une concurrence efficace avec leurs homologues d’autres pays sans que les mesures de protection soient affaiblies.
  • En novembre, nous lancerons une consultation sur la version à l’étude de la ligne directrice Normes de fonds propres (NFP). Nous examinerons les coefficients de pondération du risque relatifs pour les banques ainsi que le régime au regard des normes de fonds propres qui s’applique à certains types de prêts pour encourager les banques à accorder des prêts aux entreprises et ainsi soutenir l’économie.

Animateur :

Q4. Les tensions commerciales persistantes avec les États-Unis, combinées à un assouplissement général de la réglementation financière pour les entreprises américaines, menacent d’affaiblir la position concurrentielle des multinationales d’assurance établies au Canada. Le BSIF tient-il compte de la capacité des assureurs à livrer une concurrence efficace à l’extérieur du Canada lorsqu’il établit des règles et des consignes touchant le capital ou d’autres éléments (comme les actifs privés)?

Surintendant Peter Routledge :

  • Bien sûr que nous en tenons compte. Le Parlement a clairement défini le mandat du BSIF : nous devons protéger les droits des déposants, des créanciers et des souscripteurs, tout en permettant aux institutions financières de faire face à la concurrence et de prendre des risques raisonnables.
  • Cet équilibre est important dans un marché mondial. Les assureurs vie canadiens doivent pouvoir se mesurer à la concurrence à l’échelle internationale, et nos règles doivent tenir compte de cette réalité.
  • Dans cette optique, en juillet 2025, nous avons diminué les exigences de capital qui s’appliquent aux titres de créance et aux titres de capitaux propres liés à des projets d’infrastructure admissibles détenus par les assureurs vie afin d’encourager les investissements dans des projets d’infrastructure d’origine canadienne. Ce rajustement a permis de dégager du capital aux fins d’investissement sans compromettre la résilience.
  • Nous reportons également la prochaine révision de la ligne directrice Test de suffisance du capital des sociétés d’assurance vie (TSAV), initialement prévue en 2027, à une date ultérieure (après 2028).
    • Après que la mise en œuvre des lignes directrices TSAV de 2023 et TSAV de 2025 a fait ses preuves, nous avons déterminé que le fait de maintenir la stabilité actuelle du cadre du TSAV contribuera à la bonne gestion et à la prévisibilité de la réglementation sur le capital.
  • Nous continuons de discuter avec les assureurs du traitement des actifs privés et d’autres expositions afin de veiller à ce que notre cadre concorde avec les normes internationales et demeure proportionné aux besoins du Canada.

Animateur :

Q5. Le BSIF a mis en œuvre des règles liées au ratio prêt-revenu (RPR) plus tôt cette année, qui viennent s’ajouter à la simulation de crise des taux d’intérêt hypothécaires (taux admissible minimal, ou TAM). Il a été question de remplacer le TAM par le RPR. Pouvez-vous nous dire ce qui a motivé la mise en œuvre du RPR et si vous croyez qu’il pourrait un jour remplacer le TAM? Qu’observe le BSIF concernant les renouvellements dans un contexte de taux d’intérêt encore élevés? De manière plus générale, le BSIF étudie-t-il d’autres façons d’aider le gouvernement fédéral à résoudre la crise de l’abordabilité du logement au Canada?

Surintendant Peter Routledge :

  • En janvier dernier, nous avons mis en œuvre, dans le cadre d’un projet pilote, une mesure liée au ratio prêt-revenu (RPR), en parallèle à la simulation de crise des taux d’intérêt hypothécaires (ou TAM) qui est en place depuis longtemps. La conception du RPR est unique et s’applique au niveau des institutions plutôt qu’au niveau des prêts hypothécaires individuels, ce qui nous permet de limiter autant que possible les effets indésirables sur différents modèles d’affaires.
  • Le projet pilote s’échelonnera sur une année complète afin que nous puissions évaluer ses répercussions dans différentes conditions de marché. Jusqu’à présent, nous sommes satisfaits des résultats obtenus.
  • Une simulation semblable à celle du RPR aurait peut-être permis d’éviter certains problèmes liés au boom immobilier survenu durant la pandémie de COVID-19.
  • Enfin, si la question plus large de l’abordabilité au Canada ne fait pas partie de notre mandat, nous continuons de veiller à ce que les prêteurs fédéraux gèrent bien les risques associés aux prêts hypothécaires afin de préserver la résilience actuelle du système financier canadien.

Animateur :

Q6. Quelles mesures le BSIF met-il en œuvre pour stimuler l’économie canadienne, en particulier pour ce qui est des dépenses dans les secteurs des infrastructures, de l’énergie et de la défense?

Surintendant Peter Routledge :

  • Cet été, nous avons diminué les exigences de capital qui s’appliquent aux titres de créance et aux titres de capitaux propres liés à des projets d’infrastructure admissibles détenus par les assureurs vie. Ce changement a permis de dégager du capital sans augmenter considérablement le risque, ce qui a été accueilli favorablement par le secteur de l’assurance vie.
  • Comme nous le ferions pour tout changement de politique important, nous examinerons s’il est possible d’ajuster les coefficients de pondération du risque actuels sans compromettre la résilience financière. 
  • Tout changement éventuel ferait l’objet d’un processus de consultation publique rigoureux dans le cadre de la consultation sur la ligne directrice Normes de fonds propres pour 2027.
  • Le BSIF a permis de renforcer la résilience du système financier canadien. Les banques ont largement assez de capacités pour aider à financer l’adaptation du pays à cette nouvelle ère. En effet, elles pourraient accorder près de 1 000 milliards en prêts ou autres formes de crédit et demeurer au-dessus des exigences minimales de fonds propres en vigueur; un chiffre important pour l’économie du Canada qui pèse 3 000 milliards.
  • L’année dernière, au BSIF, nous nous sommes imposé une discipline au service de l’amélioration continue de nos lignes directrices et préavis en cherchant des possibilités de retirer les attentes désuètes ou redondantes. Nous annoncerons le retrait d’autres lignes directrices et préavis le 20 novembre.

Animateur :

Q7. Le BSIF a récemment publié la mise à jour semestrielle de son Regard annuel sur le risque, qui présente une version actualisée des risques prépondérants pour 2025-2026. Pourriez-vous nous en dire plus sur ces risques, leur évolution ces derniers mois, et la manière dont l’environnement pourrait évoluer?

Surintendant Peter Routledge :

  • Dans le Regard annuel sur le risque publié en mars 2025, nous avons mis en évidence 4 catégories de risques déterminants : les risques liés à l’intégrité et à la sécurité, les risques liés aux prêts de gros, les risques de financement et de liquidité, et les risques liés aux prêts garantis par un bien immobilier (prêts RESL). Ces risques subsistent, et nous avons précisé la manière dont ils évoluent dans la mise à jour semestrielle.
  • Par exemple, nous avons constaté une incertitude persistante entourant les droits de douane. Nous signalons également une augmentation progressive des incidents de paiement sur prêts hypothécaires, surtout dans le cas des prêts hypothécaires à taux variable et à versements fixes, ce qui représente un signe de tensions.
  • Les risques observés peuvent avoir d’importantes répercussions. Nous ne prévoyons pas leur atténuation; en fait, ils ne cessent de gagner en gravité, en particulier les risques prépondérants.
  • Dans ce contexte, il est important de souligner que les institutions financières fédérales canadiennes demeurent très résilientes.
  • Bien qu’elle ne soit pas une garantie, cette résilience est un avantage stratégique. Elle permet au système d’absorber les chocs, de continuer à servir la population canadienne et de soutenir l’économie en période d’incertitude