Le système bancaire canadien pendant la pandémie : Où nous en sommes et où nous allons

Mot d’ouverture du surintendant des institutions financières lors de la Webémission sur la gestion du risque dans le secteur bancaire, édition 2020

Le 23 novembre 2020

Introduction

Bienvenue à notre webémission sur la gestion du risque dans le secteur bancaire.

Je regrette de ne pas être avec vous en personne aujourd’hui; j’aurais eu plaisir à saluer d’anciennes connaissances et à m’étonner du nombre de nouveaux visages. Cela dit, le format virtuel a aussi ses avantages : nous pouvons accueillir plus de participants et il est tout aussi accessible aux gens qui vivent et travaillent à l’extérieur de la région du Grand Toronto qu’à ceux d’entre vous qui s’y trouvent.

Je veux vous parler aujourd’hui du cheminement du système bancaire canadien pendant la pandémie : comment nous sommes arrivés ici, aujourd’hui, et où ça pourrait nous mener.

Le renforcement de la résilience porte fruits

Les derniers mois ont clairement démontré que le système bancaire canadien était bien préparé à cette crise. Dès les premières heures de la pandémie, le système a su faire preuve de toute la résilience – résilience des fonds propres, résilience de la liquidité et résilience opérationnelle – dont nous avions tant besoin. Nous avons eu la preuve que la plupart (mais pas la totalité) des mesures qu’un organisme de réglementation et de surveillance prudentielle doit pouvoir prendre en période de ralentissement devraient être mises en place bien avant ce ralentissement.

Résilience en matière de fonds propres

Commençons par les fonds propres. Un système bancaire bien capitalisé est essentiel à la stabilité financière, car il aide à amortir les chocs financiers, alors qu’un système bancaire dont le capital laisse à désirer amplifiera ces chocs.

Même si cela était déjà sû et accepté au Canada avant la crise financière mondiale, nous avons renforcé nos normes de fonds propres par la suite, en collaboration avec nos vis-à-vis étrangers. Non seulement avons-nous relevé nos normes minimales, nous avons aussi poussé les banques à faire encore mieux dans des conditions normales et avons créé des réserves de fonds propres robustes pour utilisation en période de crise. L’exemple le plus évident de cette approche est la réserve pour stabilité intérieure, ou RSI, qui s’applique aux banques d’importance systémique. Au début de la pandémie, le Canada disposait de l’une des plus importantes réserves du genre au monde.

Je suis heureux de dire que tout cela a fonctionné comme nous l’avions espéré. Nous avons abaissé la RSI au début de la pandémie pour la faire passer de 225 points de base des actifs pondérés en fonction du risque à 100 points de base. Concrètement, cette décision a surtout eu pour effet de signaler clairement aux banques et aux participants au marché qu’une réduction mesurée des niveaux de fonds propres serait une réponse appropriée et prudente à la détérioration de l’économie.

Au cours du premier trimestre de déclaration après le début de la pandémie, nous avons connu ce que j’aime appeler la « trifecta de ralentissement » : [1] La croissance des prêts s’est accélérée (pour soutenir l’économie). [2] Les provisions pour pertes sur prêts ont augmenté (en raison du ralentissement). Et [3], les participants au marché n’étaient pas préoccupés par la baisse des niveaux de fonds propres des banques. Il s’agissait là d’un exemple classique de la manière dont le régime de fonds propres devrait fonctionner en période de ralentissement, où le système bancaire est capable d’absorber les chocs plutôt que d’être contraint de les amplifier.

Au cours des trimestres suivants, les ratios de fonds propres ont affiché une tendance à la hausse au Canada. Cela peut être surprenant étant donné que l’économie reste faible, mais c’est le résultat de la confluence de trois facteurs.

[1] Les banques ont utilisé l'essentiel des nouvelles provisions pour pertes sur prêts dès que les perspectives économiques ont changé, ce qu’exige la nouvelle norme comptable IFRS 9. [2] Parallèlement, le revenu net avant provision s'est bien maintenu, et [3] la demande de prêts a évidemment été faible.

Résilience de la liquidité

Mais il n’y a pas que la résilience des fonds propres. Nous avons également renforcé considérablement les normes de liquidité des banques après la crise financière mondiale. L’an dernier, nous avons revu et renforcé davantage ces normes à la lumière de notre expérience d’après-crise. Tout comme dans le cas des fonds propres, les banques avaient établi des réserves considérablement supérieures aux normes minimales, en partie à notre insistance.

Cela aussi a bien fonctionné. Les banques ont utilisé une partie de leurs réserves de liquidité au début de la pandémie, alors que les marchés financiers étaient gravement perturbés. La rapidité avec laquelle la banque centrale a réagit a permis aux marchés de se remettre sur les rails et aux banques de conserver une partie de leurs réserves de liquidité, et de les réapprovisionner. Maintenant que nous sommes en situation de pandémie depuis plusieurs mois, la liquidité n’est plus une préoccupation urgente; de nombreuses banques sont inondées de dépôts alors que les consommateurs et les entreprises tempèrent leurs dépenses.

Résilience opérationnelle

Les banques ont également démontré leur résilience opérationnelle pendant la pandémie. J’espère que notre travail a été utile à cet égard et je m’attends à ce que ce soit le cas, car il y a quelques années, nous avons ciblé le risque opérationnel en général, et sur la continuité des activités et les tiers en particulier. Bien entendu, la résilience en matière de technologie et de cybersécurité est un élément important qui sous-tend la résilience opérationnelle globale, et le crédit en revient aux services de TI des banques et aux personnes qui ont approuvé leurs budgets.

Voilà qui termine mon bref survol du chemin parcouru jusqu’à aujourd’hui. Passons maintenant à la suite des choses.

La prochaine étape : se préparer au pire scénario

Je pense qu’on peut être confiants que la pandémie sera éventuellement derrière nous. Les récentes nouvelles à propos des vaccins sont encourageantes et nous donnent à tous un coup de pouce apprécié.

Mais en tant que dirigeant d’un organisme de réglementation et de surveillance prudentielle, je dois vous rappeler que la situation pourrait s’aggraver avant de s’améliorer. Selon les scénarios graves mais plausibles, les choses pourraient nettement empirer.

Les cas de COVID se multiplient au Canada et chez bon nombre de ses partenaires commerciaux. L’hiver s’amène dans notre hémisphère avec la perspective de conditions encore plus propices à la propagation du virus à l’intérieur que ce que nous avons vu au cours des mois éprouvants de mars et d’avril. Et la « lassitude face à la conformité » prend de l’ampleur.

Enfin, nous devons être conscients que d’autres événements indésirables pourraient affecter l’économie alors qu’elle est déjà affaiblie. Après tout, si on m’avait dit il y a un an qu’on allait s’apprêter à vivre une pandémie mondiale et une guerre mondiale des prix du pétrole en même temps, j’aurais probablement réagi avec ironie. Or, c’est exactement ce qui s’est passé en mars dernier.

Si l’économie devait connaître une forte contraction, l’enjeu le plus important pour le BSIF serait celui des fonds propres. La bonne nouvelle, et c’est une très bonne nouvelle, est que l’on dispose d’amplement de fonds propres, permettant ainsi au système bancaire de continuer à jouer son rôle d’amortisseur des chocs.

Néanmoins, si nous nous retrouvons dans un autre cycle de déclin économique ou dans un scénario en dents de scie, je m’attends à ce que nous ayons à intensifier nos communications sur le fonctionnement du régime de fonds propres. À chaque occasion, nous rappellerons aux banques et aux participants au marché que le BSIF exige des banques qu’elles accumulent des réserves de fonds propres en période de prospérité précisément pour pouvoir les utiliser en période de crise comme celle que nous vivons. Nous devrons également rappeler à tous que les banques auront amplement le temps de rétablir leurs réserves de fonds propres de façon transparente et mesurée, au moment opportun.

Dans ce scénario en dents de scie, il pourrait être nécessaire d’abaisser encore plus la RSI. Heureusement, il reste 100 points de base de la réserve, soit près de la moitié du niveau au début de la pandémie. Nous devrons également reconsidérer la date la plus rapprochée pour envisager de hausser la réserve; pour le moment ce serait en septembre de l’année prochaine.

Certains d’entre vous avez peut-être été moins attentifs à cette partie de mon intervention parce que vous êtes confiants que nous progresserons en douceur vers un redressement une fois un vaccin disponible. Espérons que vous avez raison.

Mais je ne prendrais pas la chose pour acquise. Pour ma part, je ne peux m’empêcher de penser à l’été 2008.

Qu’y a-t-il eu de spécial cet été-là, direz-vous? Vous vous souviendrez que la crise financière avait débuté au Canada l’été d’avant avec la perturbation du marché du papier commercial adossé à des actifs non bancaires. Peu de temps après, la Banque du Canada a commencé à fournir un concours de trésorerie aux marchés financiers, ce qui était sans précédent selon les normes de l’époque.

Or, l’été suivant, la situation au Canada s’était considérablement améliorée. Elle s’était tellement améliorée que la Banque du Canada a réduit la taille des facilités de soutien qu’elle avait instaurées en 2007. De leur côté, les dirigeants du ministère des Finances étaient assez confiants dans l’avenir pour décider qu’ils pouvaient se permettre de confier à un novice la direction de leur service d’élaboration de la politique du du secteur financier; cette personne n’avait jamais été sous-ministre adjoint auparavant et n’avait aucune expérience du secteur financier non plus. (À propos, cette personne, c’était moi.)

Nous savons tous ce qui s’est passé peu de temps après, lorsque Lehman Brothers a fait faillite.

Bien sûr, nous pourrions bien éviter une reprise en dents de scie. Mais même si nous y parvenons, la reprise pourrait sembler très différente de la « normale » pré-COVID. Comme nous l’a rappelé le gouverneur de la Banque du Canada, nous pourrions devoir affronter une reprise à la fois longue, lente et cahoteuse, ce qui pèserait sur le rendement du crédit. Si la reprise est longue et lente, elle s’accompagnera de taux d’intérêt très bas, ce qui plomberait les bénéfices. De plus, l’expérience de la pandémie pourrait entraîner des changements structurels de l’économie, ou accélérer les changements déjà en cours. Ces changements créeront de nouvelles possibilités pour les banques, mais aussi de nouveaux risques.

Quand la reprise sera bien ancrée, nous tenterons de continuer à dénouer les mesures exceptionnelles que nous avons prises au début de la pandémie. Comme vous le savez, nous éliminons progressivement le traitement extraordinaire des reports de prêts que nous avons établi en mars, mais de nombreuses autres mesures sont encore en place. Nous n’avons pris que les mesures que nous jugions crédibles, cohérentes, nécessaires et adaptées à nos besoins. Quand une mesure ne répondra plus à ces critères, nous la retirerons.

L’avenir de la hausse des dividendes

Je présume que, de toutes les mesures exceptionnelles que nous avons mises en place ce printemps, vous vous intéressez surtout à l’avenir de l’interdiction visant l’augmentation des dividendes, le rachat d’actions et l’accroissement de la rémunération totale des dirigeants. Il s’agit évidemment de restrictions hors de l’ordinaire, et nous ne voulons pas qu’elles deviennent une caractéristique permanente de notre système. Alors comment saurons-nous quand il sera temps d’en assouplir quelques-unes, sinon toutes?

Le facteur le plus important à considérer sera l’ampleur de l’incertitude au sujet des perspectives économiques. Cela signifie qu’il n’y a pas de date fixe ou d’indicateur économique précis qui déclenchera notre décision. Nous commencerons à assouplir ces restrictions lorsque nous serons d’avis qu’il n’existe que peu ou pas de trajectoires menant à un deuxième repli de l’économie provoqué par la pandémie.

À cet égard, il est important de comprendre que, de notre point de vue, le fait de maintenir les restrictions un peu trop longtemps est une erreur moins grave que de les lever trop tôt. Si les restrictions sont en place plus longtemps que nécessaire, la banque conserve tout simplement ses fonds propres, lesquels seront distribués plus tard lorsque les restrictions prendront fin. Par contre, si nous levons les restrictions trop tôt, la banque subit un exode de fonds propres et ne peut les récupérer en cas de besoin.

Vous attendez sans doute de voir ce qui se passera dans d’autres pays qui ont aussi limité la distribution des fonds propres bancaires. Nous aussi. Nous gardons également à l’esprit que les circonstances au Canada diffèrent de celles de la plupart de ces pays.

Dans certains pays, toute distribution de dividendes est interdite. Lorsque les autorités de ces pays auront levé cette restriction, elles pourront démontrer aux investisseurs qu'il est logique d'investir dans les banques parce qu'il y a une perspective raisonnable de récupérer ces fonds plus tard. Au Canada, par contre, nous n’avons jamais interdit le versement des dividendes; nous avons seulement interdit de les augmenter. En effet, nous en sommes à la deuxième crise de ce siècle où les banques canadiennes ont continué de verser des dividendes sans interruption, ce qui donne un portrait très différent aux investisseurs.

Dans d’autres pays, les rachats d’actions ont été le principal moyen de remettre des capitaux aux investisseurs; les distributions de dividendes sont nettement plus loin dans la liste. Au Canada, la situation est inversée. Pourquoi est-ce important? Parce que les rachats d’actions sont faciles à amorcer et à stopper. Les dividendes sont tout autre chose.

Conclusion

J’aimerais clore mon survol de notre parcours pendant la pandémie avec une observation. Aucun des enjeux qui nous préoccupaient avant la pandémie ne s’est volatilisé. Ils sont toujours là. C’est pourquoi nous avons repris l’élaboration des politiques et les consultations à l’automne, après les avoir suspendus au printemps.

La première consultation que nous avons lancée portait sur le risque lié aux technologies. Ce n’est pas un hasard; au lieu de freiner les changements technologiques, la pandémie les a accélérés. Vous avez aussi appris récemment que nous travaillons avec le milieu et la Banque du Canada à l’analyse de scénarios des risques découlant de la transition vers une réduction des émissions de gaz à effet de serre. Nous diffuserons aussi un document de travail général sur l’approche prudentielle à l’égard du risque lié aux changements climatiques au début de la nouvelle année. Nous sommes également déterminés à parachever les travaux que nous avons entrepris pour mettre en œuvre les dernières réformes de Bâle III au Canada et à adopter une approche plus proportionnelle à l’égard des normes de fonds propres et de liquidité pour les petites et moyennes banques.

Nous comptons sur vous, et sur tous les intéressés, pour nous aider à mener ces projets, grands et petits, à bon port. Et, tout comme vous, nous avons vraiment hâte que la pandémie prenne fin.

Je crois avoir laissé assez de temps pour répondre à quelques questions. Je vous écoute.