Conférence sur les services financiers 2024 de Valeurs mobilières TD - Entretien informel avec Peter Routledge

Document d’information -

Le 19 janvier 2024, le surintendant des institutions financières, Peter Routledge, a eu un entretien informel avec les participants à la Conférence sur les services financiers 2024 de Valeurs mobilières TD. Vous trouverez ci-dessous la transcription de la conversation.

Réserve pour stabilité intérieure

Modérateur : En juin 2023, le BSIF a augmenté la réserve pour stabilité intérieure (RSI) et a porté le plafond à 4 %, ce qui m’a surpris. Quel est le raisonnement ou la logique derrière la récente décision concernant la RSI?

Superintendant Routledge :

  • Les décisions du BSIF concernant la RSI sont fondées sur l’évaluation d’un large éventail de renseignements quantitatifs et qualitatifs. Ces renseignements sont liés aux vulnérabilités et aux risques auxquels nos institutions sont exposées, ainsi qu’aux résultats des récentes simulations de crise et au jugement des surveillants.
  • Fixer le taux de la RSI à 3,50 % en juin était une décision prudente, mesurée et responsable qui reflétait les conclusions de notre évaluation, c’est-à-dire que les vulnérabilités systémiques s’étaient accrues.
  • Nous avons basé notre décision de décembre, soit de conserver la RSI à 3,50 %, sur trois facteurs :
    • les vulnérabilités systémiques sont demeurées élevées, mais ne se sont pas accrues depuis l’annonce de juin dernier;
    • nous avons estimé que la capacité d’absorption des pertes découlant d’un taux de RSI de 3,50 % constituait une protection adéquate contre une détérioration grave, mais vraisemblable des conditions financières;
    • les conseils d’administration des banques d’importance systémique du Canada ont adopté une approche prudente pour la gestion de leurs fonds propres (ces banques ont toutes produit des ratios de fonds propres CET1 supérieurs à 12 %).
  • En résumé, au cours de la dernière année, le BSIF a relevé le taux de RSI de 100 points de base, augmentant ainsi l’importante réserve de fonds propres des six plus grandes banques canadiennes. Nous croyons que cette action a renforcé la capacité du système bancaire à absorber les pertes si les vulnérabilités actuelles se transforment en pertes réelles.

Modérateur : La décision de juin m’a donné l’impression que le BSIF a tendance à adopter une approche prudente. Que faut-il pour que le taux de RSI diminue?

Superintendant Routledge :

  • Le BSIF évalue constamment la justesse du taux et de la fourchette de la RSI par rapport aux circonstances actuelles. La RSI est un outil flexible. Lorsque les vulnérabilités s’accentuent, le BSIF prend des mesures supplémentaires pour renforcer la résilience.
  • Nous relevons le taux de RSI lorsque nous constatons une augmentation des niveaux d’endettement des ménages et des entreprises, des déséquilibres dans les prix des actifs canadiens ainsi que des vulnérabilités liées à des événements systémiques externes et géopolitiques qui pourraient avoir des réactions en chaîne sur le système financier canadien.
  • Nous réduisons la RSI et prenons d’autres mesures de surveillance, le cas échéant, si les pertes augmentent de manière inattendue ou si les indicateurs suggèrent une forte probabilité de récession. En outre, il pourrait être justifié d’utiliser une partie de la RSI pour assurer des conditions de prêt fluides et stables ainsi que réduire le risque de pénurie de crédit.
  • Par exemple, pendant la pandémie, la RSI a été abaissée de 1,25 % (le 13 mars 2020), ce qui a permis aux banques de disposer de plus de 300 milliards de dollars supplémentaires pour octroyer des prêts. Cette mesure a été prise pour soutenir la capacité des banques à accorder des prêts et à offrir des services à la population canadienne.
  • N’oublions pas que le BSIF peut rapidement réexaminer la fourchette ou le taux si les circonstances le justifient. Nous surveillons également de près les principales vulnérabilités et nous communiquons régulièrement avec les institutions dans le cadre des processus de surveillance pour atténuer les risques de matérialisation des vulnérabilités.

Prêts hypothécaires et marché de l’habitation

Modérateur : Les prêts hypothécaires à taux variable avec des paiements fixes ont fait l’objet d’un examen approfondi, et vous avez clairement indiqué qu’il ne s’agissait pas d’un produit apprécié par le BSIF. Vous avez également dit que vous n’aimiez pas que les périodes d’amortissement soient prolongées de manière importante. Que peut faire le BSIF si l’institution offre un produit qu’il n’aime pas?

Superintendant Routledge :

  • Tout d’abord, je souhaite préciser que l’on croit souvent à tort que la période d’amortissement de ces emprunts s’allonge, surtout parce que les relevés hypothécaires mensuels sont établis selon une période d’amortissement transitoire fondée sur le montant du principal remboursé au cours du mois considéré. En fait, la période d’amortissement contractuelle ne change pas, et les débiteurs hypothécaires devront compenser les remboursements différés du principal au moment du renouvellement de leur contrat. Cela signifie qu’ils risquent de subir un solide choc de paiement.
  • C’est pourquoi j’ai dit que je pense que le système de financement de l’habitation donnerait de meilleurs résultats pour les emprunteurs et les prêteurs si ce produit était moins répandu. Je maintiens d’ailleurs cette déclaration.
  • Cela dit, tous les produits comportent des risques, certains plus que d’autres il est vrai. Notre travail est de nous assurer que les institutions financières gèrent ces risques de manière appropriée. Nous le faisons de plusieurs façons.
  • En ce qui concerne le montage des prêts hypothécaires, il est important que les prêteurs soient proactifs et se conforment aux attentes énoncées dans notre ligne directrice B-20 sur la souscription de prêts, y compris les mesures relatives au taux admissible minimal (TAM) aussi appelé « simulation de crise », pour un éventail de conditions financières et économiques avant d’octroyer les prêts.
  • En outre, nous modifions les normes de fonds propres pour 1) garantir que les prêteurs et les assureurs hypothécaires détiennent suffisamment de fonds propres pour couvrir les risques liés aux amortissements négatifs et 2) inciter les prêteurs à purement éviter les amortissements négatifs. Cette ligne directrice a été publiée le 20 octobre et est entrée en vigueur au T1 de 2024.
  • Les prêteurs doivent également respecter les principes clés de la Ligne directrice sur les prêts hypothécaires existants des consommateurs dans des circonstances exceptionnelles de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC).
  • En fin de compte, ce sont des décisions qui seront prises par les prêteurs et nous sommes reconnaissants des efforts qu’ils déploient pour aider les Canadiens et les Canadiennes à rester propriétaires tout en s’assurant que les mesures prises respectent la propension à prendre des risques des institutions, y compris en maintenant des niveaux de réserve appropriés.

Modérateur : Le 16 octobre, le BSIF a annoncé les résultats de la consultation publique sur les mesures de remboursement de la dette de la ligne directrice B-20. Pouvez-vous décrire l’approche et le raisonnement justifiant la décision du BSIF de prendre des mesures de surveillance ciblées pour limiter l’exposition à l’endettement élevé des ménages? Veuillez aborder particulièrement la décision concernant les restrictions relatives au coefficient d’amortissement de la dette.

Superintendant Routledge :

  • Les prêts hypothécaires résidentiels ont été considérés comme l’un des risques prépondérants dans notre Regard annuel sur le risque et la mise à jour publiée à l’automne. Un taux élevé d’endettement des ménages pèse encore sur le risque de crédit, la sûreté et la solidité des institutions financières fédérales (IFF) ainsi que la stabilité globale du système financier. L’endettement hypothécaire et les autres dettes des ménages ont continué à augmenter malgré les mesures en place lorsque les taux d’intérêt étaient faibles.
  • En tant qu’organisme de réglementation prudentielle, notre rôle est de veiller à ce que les prêteurs adoptent des normes de souscription saines et appliquent des pratiques prudentes en matière d’octroi de prêt, de gestion de portefeuille et de gestion de compte.
  • Nous travaillons actuellement à l’établissement d’une limite du rapport prêt-revenu (RPR) par portefeuille pour les prêts hypothécaires non assurés. Notre intention est de fixer des limites qui n’auront pas d’incidence sur les opérations commerciales lorsque les taux d’intérêt sont élevés, comme en ce moment, mais qui empêcheront la constitution d’une base d’emprunteurs fortement endettés lorsque les taux d’intérêt sont bas.
  • Ces mesures tiendront compte de la taille, de la nature, de la complexité et du profil de risque de chaque IFF. Elles établiront un équilibre entre une gestion saine du risque et la nécessité pour les IFF d’être concurrentielles et de prendre des risques raisonnables.
  • Il s’agit de mesures de surveillance. Il est impossible de divulguer plus de renseignements en vertu du Règlement sur les renseignements relatifs à la supervision des banques.

Modernisation du Cadre de surveillance

Modérateur : Le Cadre sera modernisé en avril 2024. Quels seront les changements et pourquoi avez-vous ressenti le besoin de les apporter? Je souhaite en savoir davantage sur la façon dont ces changements permettront au BSIF de prendre rapidement des mesures correctives.

Superintendant Routledge :

  • Comme l’environnement de risque évolue rapidement, nous modernisons notre Cadre de surveillance pour qu’il reste adapté à son objectif. De plus, le nouveau Cadre nous aidera à affiner nos méthodes d’évaluation des risques et à naviguer plus efficacement dans le paysage du risque en évolution d’aujourd’hui.
  • Voici les changements notables apportés au Cadre de surveillance :
    • une échelle de cotation des risques portée à huit points avec communication de plus de renseignements sur les facteurs de risque et d’un avertissement sur le niveau d’inquiétude du BSIF plus tôt dans le processus;
    • un lien avec la propension à prendre des risques du BSIF grâce à de nouvelles classes de risque qui reflètent la taille, la complexité et la possibilité de contagion;
    • l’ajout de nouvelles catégories de risque, dont le risque d’exploitation et la résilience opérationnelle;
    • l’intégration des considérations relatives aux risques climatiques;
    • la mise en place de capacités additionnelles à l’appui des travaux de surveillance fondés sur le risque.
  • Le nouveau Cadre de surveillance est conçu de façon à permettre des interventions rapides et à offrir une plus grande transparence aux institutions financières quant aux résultats attendus.
  • À cette fin, nous continuerons d’entretenir une communication franche, ouverte et directe avec nos parties prenantes. Nous fournirons également plus de renseignements aux IFF afin de les aider à comprendre nos principales préoccupations et à y répondre dans les meilleurs délais.
  • Le nouveau Cadre de surveillance entrera en vigueur en avril 2024. Il convient de noter qu’il s’agit des plus importants changements apportés au Cadre de surveillance du BSIF en 25 ans.

Immobilier commercial

Modérateur : Où se situe l’immobilier commercial dans votre liste de préoccupations? Veuillez aborder l’objectif, le champ d’application et les principaux domaines d’intérêt des consignes sur la gestion du risque lié à l’immobilier commercial.

Superintendant Routledge :

  • Les prêts immobiliers commerciaux sont considérés comme présentant un risque prépondérant dans la mise à jour automnale de notre Regard annuel sur le risque pour l’exercice 2023-2024.
  • L’avis relatif à la réglementation qui porte sur l’immobilier commercial répond à l’environnement de risque accru en renforçant nos attentes à l’égard des saines pratiques de gestion du risque lié aux prêts immobiliers commerciaux. L’avis n’est toutefois pas exhaustif. Vu les conclusions récentes tirées de nos travaux de surveillance, il se concentre sur les points suivants :
    • la gouvernance et la gestion du risque;
    • la souscription et la gestion de compte prudentes;
    • la gestion de portefeuille.
  • Bien que les institutions prêteuses disposent actuellement d’assez de fonds propres et qu’elles aient prouvé leur résilience financière lors des précédents ralentissements, la hausse des taux d’intérêt nous a incités à surveiller les signes d’augmentation des défauts chez les emprunteurs, des fraudes et des pertes de crédit, en particulier dans les marchés des prêts garantis par un bien immobilier, des prêts immobiliers commerciaux et des prêts aux grandes entreprises.
  • Nous collaborons actuellement avec le secteur pour améliorer la collecte des données sur l’immobilier résidentiel et accroître la granularité des rapports. Nous pourrons ainsi peaufiner le suivi pour ce secteur, y compris le suivi des cotes, des mesures d’abstention et de l’évaluation des sûretés.

Risque climatique

Modérateur : Nous comprenons bien la pertinence de ce risque pour les assureurs multirisques. Mais quelle est sa pertinence dans la réglementation des banques et des sociétés d’assurance vie?

Superintendant Routledge :

  • Pour que le BSIF puisse remplir sa mission, nous devons veiller à ce que les institutions financières canadiennes gèrent les risques susceptibles d’avoir une incidence sur leur sûreté et leur solidité. Les changements climatiques sont l’un de ces risques, car ils accroissent les risques physiques liés aux phénomènes météorologiques et les risques liés à la décarbonation inévitable de l’économie. Ces deux types de risques climatiques recoupent aussi des risques financiers plus traditionnels, comme ceux opérationnels, de crédit, de marché et d’assurance.
  • Les changements climatiques ont une incidence sur la sûreté et la solidité des institutions financières, car ils modifieront les flux de trésorerie générés par certains actifs financiers et certaines activités. Comme elles sont plus destructrices et plus fréquentes, les catastrophes naturelles transforment les facteurs économiques fondamentaux de certains segments de l’assurance. Le monde délaissera peu à peu les sources d’énergie émettrices de gaz à effet de serre, et le système financier canadien devra financer la décarbonisation des entreprises.
  • Durant la dernière année, le BSIF a fait des progrès considérables pour aider les IFF à améliorer leurs compétences en gestion des risques physiques et de transition liés aux changements climatiques.
  • Nous avons notamment défini nos attentes à l’aide de la ligne directrice B-15, Gestion des risques climatiques, créé le Forum sur le risque climatique pour ouvrir le dialogue ainsi que lancé des consultations sur la version provisoire des relevés sur les risques climatiques et l’exercice normalisé d’analyse de scénarios climatiques (ENASC). Nous prévoyons publier la version finale des relevés sur les risques climatiques et lancer la deuxième partie de la consultation sur l’ENASC au cours des prochains mois.
  • Au BSIF, nous considérons le risque climatique comme tous les autres risques prudentiels apparus depuis la crise financière de 2008-2009 et nous l’aborderons en appliquant les mêmes principes de gestion du risque.