Discours du surintendant au Sommet 2025 de l'Institut du risque mondial
Discours - Toronto -
L’allocution prononcée fait foi
Selon un vieil adage, il y a des décennies où rien ne se passe et des semaines où des décennies se produisent. Or, l’actualité semble plus proche de la deuxième partie de cette formule. En fait, l’année 2025 me rappelle la période des années 1989 à 1991, où il semblait que chaque matin, une nouvelle extraordinaire faisait les gros titres tandis que le monde vivait la fin de la guerre froide.
Et la période actuelle ne suscite pas moins d’inquiétudes qu’à l’époque. Entre instabilité géopolitique croissante, cybermenaces et changements climatiques, en passant par les mutations de l’économie nationale et l’innovation technologique, les risques et les possibilités auxquels sont confrontées les institutions financières canadiennes sont complexes et substantiels. Autrement dit, le système financier canadien, à l’image de notre pays, traverse une période de profonde incertitude.
On peut faire face à cette incertitude avec appréhension, crainte ou optimisme, ou avec un mélange des trois. Je tiens aujourd’hui à mettre l’accent sur l’optimisme, même si l’on se doit de faire preuve d’humilité au regard de l’incertitude omniprésente.
Ces 15 dernières années, les conseils d’administration des entités réglementées par le BSIF ont renforcé durablement la résilience du système financier canadien; avec un petit coup de pouce de leur amical organisme de réglementation des institutions financières. Leurs efforts se sont avérés à la fois nécessaires et efficaces.
Prenons un exemple. Les banques d’importance systémique du Canada affichaient des ratios de fonds propres de catégorie 1 sous forme d’actions ordinaires (CET1) qui s’établissaient en moyenne à 13,7 % lors du dernier trimestre, soit 220 points de base au-dessus du niveau du plancher d’une banque d’importance systémique bien capitalisée. L’une des façons de voir les choses, c’est que le dénominateur du ratio de fonds propres CET1 (les actifs pondérés en fonction du risque) pourrait augmenter d’environ 500 milliards avant que le ratio ne tombe à 11,5 %. En termes plus simples, les banques pourraient accorder près de 1 000 milliards en prêts ou autres formes de crédit et demeurer au-dessus des exigences minimales de fonds propres en vigueur; un chiffre important pour l’économie du Canada qui pèse 3 000 milliards. Les banques canadiennes ont donc largement assez de capacités pour aider à financer l’adaptation du pays à cette nouvelle ère; voilà de quoi être optimiste. Parallèlement, les assureurs vie canadiens ont augmenté leur ratio du noyau de capital de 13 % ces 6 dernières années tout en maintenant de généreux coussins de capital qui peuvent être mis à profit de façon similaire pour faire de nouveaux investissements dans l’économie canadienne.
Depuis la crise financière mondiale, le BSIF a aussi mis en œuvre des exigences à l’égard de la liquidité des institutions financières et des mesures de protection contre les risques liés à l’intégrité et à la sécurité (autrement dit les risques non financiers).
D’après ces éléments, je peux affirmer avec assurance que le système financier canadien est plus résilient que jamais. Voilà une déclaration peu habituelle dans la bouche d’un surveillant d’institutions financières, j’en suis bien conscient, et je rappelle encore une fois l’humilité dont je me dois de faire preuve à l’égard de l’incertitude à laquelle nous faisons face. Force est de constater que la résilience n’est pas une garantie, c’est un atout, mais un atout qui a ses limites.
Je crois néanmoins que le système financier du Canada est dans une excellente position pour aider l’économie à s’adapter à notre nouvel environnement économique. De fait, la résilience du système est un avantage stratégique dont il faut tirer parti pour soutenir les entreprises et les ménages canadiens à mesure que le pays s’adapte. Lorsque les banques, les assureurs et les régimes de retraite sont bien réglementés, capables d’adaptation et à même de gérer efficacement les risques, c’est l’ensemble de la population canadienne qui en profite, que ce soit en bénéficiant d’un accès fiable au crédit et aux services financiers ou d’un soutien plus important pour les entreprises et les collectivités. Au BSIF nous pensons qu’un système financier solide et stable, ce n’est pas seulement une mesure de protection, c’est un catalyseur de la prospérité nationale.
À la lumière de ce qui précède, que peut faire maintenant le BSIF pour aider les institutions financières fédérales du Canada à aider le pays et l’économie à s’adapter?
La réponse à cette question nous occupera pour les prochaines années, et je soupçonne qu’elle changera parallèlement à l’évolution de l’environnement. Cela étant, je peux d’ores et déjà vous donner 3 éléments de réponse généraux qui cadrent avec les objectifs actuels du BSIF :
- Agir en amont – toujours aller de l’avant
- Chercher des occasions de favoriser l’équilibre concurrentiel
- Chercher des occasions de favoriser l’innovation et de faciliter l’établissement de nouvelles entités
1. Agir en amont – toujours aller de l’avant
Mus par des événements hors de notre contrôle, au BSIF, nous avons adopté un principe directeur – « toujours aller de l’avant » – qui nous pousse à agir tôt, à réfléchir de manière stratégique et à nous concentrer sur les résultats en cette période d’incertitude. Aussi, nous continuons de moderniser notre approche de la réglementation pour la rendre plus agile, transparente et avertie face aux risques. Nous cherchons notamment à éliminer les consignes désuètes, à ajuster les activités de réglementation et à mettre en pause certains projets, en prenant soin d’échanger continuellement avec les entités sectorielles et d’assurer un encadrement intelligent et efficace.
À titre d’exemple, en 2024, nous avons retiré 20 lignes directrices et préavis sectoriels, et d’autres suivront en novembre prochain. Plus tôt cette année, nous avons mis en pause les augmentations du niveau du plancher d’actifs pondérés en fonction du risque de Bâle III pour veiller à ce que l’équilibre concurrentiel soit préservé pour les banques canadiennes qui exercent leurs activités au sein du système bancaire mondial. En juillet 2025, nous avons annoncé une diminution des exigences de capital qui s’appliquent aux titres de créance et aux titres de capitaux propres liés à des projets d’infrastructure au Canada détenus par les assureurs vie réglementés par le BSIF.
Par ailleurs, nous prévoyons d’annoncer d’autres mesures de réglementation préventives pour aider les entités réglementées à soutenir le pays. Nous envisagerons d’appliquer des coefficients de pondération du risque relatifs pour les banques et consulterons les acteurs sectoriels et les interlocuteurs du secteur public sur le régime au regard des normes de fonds propres qui s’applique à certains types de prêts pour encourager les banques à accorder des prêts aux entreprises et ainsi soutenir l’économie.
2. Chercher des occasions de favoriser l’équilibre concurrentiel
Comme je viens de le mentionner, nous avons mis en pause l’application des réformes de Bâle III pour soutenir la compétitivité de nos banques multinationales face à leurs homologues à l’échelle mondiale. Dans la mission qu’il nous a confiée, le Parlement nous demande de tenir compte de la nécessité pour les institutions financières de faire face à la concurrence et de prendre des risques raisonnables. Selon nous, un BSIF qui suit les instructions du Parlement est un BSIF qui respecte la concurrence et l’équilibre concurrentiel.
Or, l’équilibre concurrentiel ne se joue pas uniquement à nos frontières, c’est une préoccupation qui prend racine à l’échelle locale. C’est pourquoi nous mettons en place plusieurs mesures pour favoriser l’équilibre concurrentiel au pays. Plus tôt cette année, nous avons échangé avec des petits et moyens prêteurs au sujet des modifications qui pourraient être apportées aux normes de fonds propres pour leur permettre d’être plus compétitifs tout en veillant à ce que les risques qu’ils prennent restent raisonnables. Nous continuons également à réfléchir avec les petites institutions à des moyens de réduire certaines contraintes réglementaires afin que les équipes de direction disposent de plus de temps et de ressources pour faire face à l’incertitude à venir. Nous vous en dirons plus à ce sujet en novembre.
3. Chercher des occasions de favoriser l’innovation et de faciliter l’établissement de nouvelles entités
Les nouvelles entités peuvent donner des maux de tête aux organismes de surveillance des institutions financières. Le problème, c’est que certaines réussissent tandis que d’autres échouent. Et tous les fonctionnaires, dont je fais partie, n’ont pas le même niveau de tolérance face à l’échec.
Depuis 1996, aucune institution de dépôt n’a fait faillite au Canada. Par comparaison, au cours de la même période, le système bancaire américain a absorbé plus de 500 faillites. Dans le secteur de l’assurance, le rapport sur les faillites à l’échelle mondiale produit par la SIMA du CanadaNote de bas de page 1, le Global Failed Insurer Catalogue (PDF), ne recense que 7 faillites d’assureurs au Canada depuis 2000 (dont certains n’étaient pas surveillés par le BSIF) sur un total de 547 faillites. Je pense donc qu’il est raisonnable de conclure que nous pourrions ajuster notre propension à prendre des risques en ce qui concerne les nouvelles entités.
Au BSIF, nous allons donc remanier notre processus d’agrément pour faciliter l’établissement de nouvelles entités et, parallèlement, mûrir notre tolérance au risque. Nous avons l’intention de trouver des occasions d’accélérer le processus d’agrément des nouvelles entités dans le secteur bancaire.
Compte tenu des innovations extraordinaires que connaît le secteur des services financiers, en particulier celles liées aux monnaies numériques comme les cryptomonnaies stables et les certificats de dépôt numériques, nous pensons que le moment est bien choisi pour simplifier notre processus d’agrément.
En outre, nous allons continuer de chercher des occasions de ne pas entraver les innovateurs déjà présents au sein de notre système tandis qu’ils mettent au point de nouveaux produits fondés sur des registres distribués ou d’autres technologies en développement. Lorsque les entités que nous réglementons nous présentent des idées et nous demandent de les soutenir, ou de ne pas les rejeter, notre premier réflexe sera d’éviter de faire obstacle à l’innovation.
De toute évidence, l’innovation et l’établissement de nouvelles entités comportent des risques, et ce qui s’est passé dans d’autres systèmes financiers nous met en garde et nous incite à ne pas être trop entreprenants. Pour nous guider, nous allons renforcer le principe simple que nous appliquons à la réglementation de l’innovation : même activité, même risque, mêmes principes de réglementation.En mettant résolument l’accent sur la résilience du système financier, l’innovation et la confiance du public, nous soutiendrons le rôle central que jouent les institutions financières canadiennes dans la vitalité économique du pays en cette période de grande incertitude.