Discours de Peter Routledge, surintendant, à l’Economic Club of Canada 2025

Discours - Toronto -

L'allocution prononcée fait foi

Merci beaucoup pour cette aimable présentation. L'Economic Club of Canada offre aux dirigeants des secteurs public et privé une tribune hautement respectée et non partisane où ils peuvent exprimer leurs opinions et répondre à des questions directes et d'actualité. Dans cette optique, je ferai d'abord quelques remarques préliminaires, puis je tenterai de répondre du mieux possible aux questions de Robert et aux vôtres.

J'ai le privilège d'exercer les fonctions de surintendant des institutions financières. Je dirige un bureau composé de fonctionnaires dévoués à qui le Parlement a confié un mandat précis et bien circonscrit : garantir la résilience des institutions financières du Canada face à l'incertitude et à la volatilité. Plus précisément, le rôle que nous a confié le Parlement consiste à protéger les droits des déposants, souscripteurs et créanciers des institutions financières en tenant compte de la nécessité pour celles-ci de faire face à la concurrence et de prendre des risques raisonnables.

Nous remplissons ce mandat en menant de front deux activités fondamentales. Premièrement, nous établissons et diffusons, au moyen de lignes directrices, les principes d'une prise de risques raisonnables dans un marché concurrentiel. Deuxièmement, nous assurons la surveillance des institutions financières pour déterminer si elles respectent ces principes.

C'est en menant ces activités de manière efficace que nous pourrons garantir la résilience des institutions financières canadiennes que nous encadrons face aux difficultés causées par l'incertitude et la volatilité. Et nous prenons cette responsabilité très au sérieux compte tenu de l'importance du secteur financier pour la prospérité économique du Canada. De fait, les institutions que nous surveillons détiennent environ 12 200 milliards de dollars d'actifs à leur bilan, un chiffre loin d'être anodin sachant que l'économie du Canada est évaluée à 3 200 milliards.

Résilience et risque dans le système financier actuel

J'ai récemment parlé de la résilience que les institutions financières canadiennes se sont forgée au cours des dernières années. À titre d'exemple, les banques d'importance systémique du Canada affichaient des ratios de fonds propres de catégorie 1 sous forme d'actions ordinaires (CET1) qui s'établissaient en moyenne à 13,7 % lors du dernier trimestre, soit 220 points de base au-dessus du niveau du plancher d'une banque d'importance systémique bien capitalisée. Parallèlement, les assureurs vie canadiens ont augmenté leur ratio du noyau de capital de 13 % ces 6 dernières années tout en maintenant de généreux coussins de capital qui peuvent être mis à profit de façon similaire pour faire de nouveaux investissements dans l'économie canadienne.

Cela dit, force est de constater que l'incertitude à laquelle font face le Canada et son secteur financier est exceptionnellement élevée. Commençons néanmoins par une bonne nouvelle : compte tenu de la résilience de notre système financier, la période que nous vivons actuellement ne ressemble pas, à mon avis, à la première décennie de ce siècle, celle qui a vu la crise financière mondiale (CFM). Certes, je trouve que les valorisations sur les marchés, qui sont nettement plus élevées que celles observées lors de la plupart des cycles, sont préoccupantes. Et certes, je m'inquiète aussi des intermédiaires financiers non bancaires novateurs dont les modèles d'affaires n'ont pas encore été mis à l'épreuve dans un véritable marché baissier. Pour autant, face à des difficultés imprévues, les institutions financières réglementées du Canada ont aujourd'hui une bien meilleure capacité de résistance et de rétablissement que lors de la CFM.

Venons-en maintenant aux risques qui menacent bel et bien la stabilité financière. Nous vivons actuellement une période de mutation géopolitique d'une grande intensité. Or, le consensus d'après-guerre froide sur les avantages économiques du libre-échange entre nations indépendantes s'est effrité, et il ne survivra pas sous la forme que nous connaissons. D'autres risques accompagnent par ailleurs cette transformation, et certains d'entre eux représentent une menace pour les institutions financières. Par exemple, les cybercriminels s'attaquent régulièrement aux institutions financières et, à l'occasion, parviennent à leurs fins. Par ailleurs, des organisations criminelles transnationales qui fabriquent et distribuent du poison mènent des attaques physiques contre les actifs corporels des institutions financières par l'intermédiaire de leurs activités de blanchiment d'argent.

Parallèlement, les institutions financières réglementées ont naturellement commencé à remettre en question la prudence dont font preuve les organismes de réglementation depuis la CFM pour renforcer la résilience des institutions. Elles font valoir que le virage à venir exige une prise de risques plus intelligente – une prise de risques qui permet aux pays d'adapter leur modèle économique au monde qui se dessine – et affirment que cette prudence ralentit inutilement le progrès. Au BSIF, on nous demande régulièrement, tout comme à nos homologues internationaux, d'abaisser les exigences de fonds propres, d'assouplir certaines normes non financières et de réduire les activités de réglementation.

En d'autres termes, les entités réglementées me demandent : le BSIF peut-il entendre que nous lui demandons sincèrement de nous aider à aider le Canada à s'adapter à cette nouvelle réalité, et donner suite à cette demande? Et la bonne réponse à cette question est « oui ». Pas « oui, mais… », simplement « oui ».

Une surveillance éclairée pour éviter une « stabilité mortifère »

En fait, nous avons commencé à répondre « oui » avant que ces demandes ne se multiplient voire, selon moi, avant même de recevoir la première. Mentionnons notamment qu'en 2024, nous avons retiré 20 lignes directrices et préavis sectoriels, et d'autres retraits suivront : d'abord en novembre prochain, puis en janvier, et encore en mai 2026. Au cours l'année à venir, nous allons procéder à la réduction de contenu réglementaire la plus vaste et la plus complète jamais effectuée au BSIF.

Par ailleurs, plus tôt cette année, nous avons mis en pause les augmentations du niveau du plancher d'actifs pondérés en fonction du risque de Bâle III pour veiller à ce que l'équilibre concurrentiel soit préservé pour les banques canadiennes qui exercent leurs activités au sein du système bancaire mondial. En juillet 2025, nous avons également annoncé une diminution des exigences de capital qui s'appliquent aux titres de créance et aux titres de capitaux propres liés à des projets d'infrastructure au Canada détenus par les assureurs vie réglementés par le BSIF.

Nous avons également cherché des idées pour améliorer nos normes de fonds propres et offrir davantage de possibilités aux prêteurs réglementés et aux investisseurs, à peu de frais pour la résilience des institutions financières. Nous prévoyons de présenter une première série de propositions à cet effet plus tard cet automne.

Soulignons toutefois que notre objectif n'est pas de révolutionner le système. Nous voulons simplement agir de manière progressive et intelligente. Nous pensons qu'il est possible de trouver un niveau de réglementation et de surveillance qui soit optimal, un niveau qui permet de réduire la probabilité qu'un choc financier puisse nuire à l'économie tout en évitant une « stabilité mortifère », (une expression que je reprends à ma collègue de la Banque d'Angleterre, Sarah Breeden, dans son discours intitulé Financial stability at your service [en anglais seulement]) autrement dit une situation où la croissance économique est inutilement freinée par une aversion excessive au risque dans le système financier. Et ce niveau optimal évolue dans le temps.

Nous sommes également bien conscients du fait que nous pourrions aller trop loin et favoriser, sans le vouloir, une prise de risques inutile au sein du système. Certains ont notamment demandé que le champ d'action des organismes de surveillance des institutions financières soit restreint aux risques purement financiers, soutenant que seuls les risques financiers importants représentent une menace pour les institutions financières.

Une détermination inébranlable à surveiller les risques non financiers importants

Aujourd'hui, si les risques financiers, comme la suffisance des fonds propres et la liquidité, restent des axes prioritaires qui sont essentiels pour le BSIF, de fâcheux événements nous ont appris que ces risques sont des indicateurs tardifs d'instabilité financière. Selon notre expérience, une évaluation inadéquate des risques non financiers est souvent à l'origine de l'instabilité financière d'une institution.

En effet, d'une part, les risques non financiers peuvent nuire aux droits des déposants, des souscripteurs et des créanciers des institutions financières et, d'autre part, les risques financiers apparaissent souvent comme les derniers signes de ce processus. Par conséquent, les risques non financiers sont bel et bien des risques importants, et le BSIF doit les surveiller et les réglementer d'une manière équivalente aux risques financiers.

En tant que créancier ou prêteur d'une institution financière, posez-vous cette question : est-ce que je peux vraiment me sentir rassuré par les ratios de fonds propres ou de liquidité de mon institution si j'ai des doutes concernant sa gestion du cyberrisque ou du risque lié aux tiers, l'intégrité de ses dirigeants, la sécurité de ses actifs corporels et informationnels, le fait qu'elle respecte les lois des territoires où elle exerce ses activités, sa culture organisationnelle et la rigueur de la gouvernance exercée par son conseil d'administration?

Les annales du secteur financier regorgent d'exemples d'entreprises qui ont fait faillite en raison de lacunes dans ces domaines, même si leurs indicateurs financiers n'avaient pas révélé la gravité des difficultés rencontrées avant les dernières semaines voire les derniers jours de leur existence. Si cet argument ne vous convainc pas, demandez aux anciens créanciers – ou actionnaires – de ces institutions...

Les alliés naturels du BSIF : les conseils d'administration

Cet avant-dernier point m'amène à aborder le message final de ce discours : l'importance fondamentale du conseil d'administration d'une institution financière pour garantir la résilience de l'institution ET sa capacité à offrir des avantages tant aux créanciers qu'aux actionnaires.

Si l'on examine objectivement les résultats du système financier canadien depuis le début du siècle, je pense qu'on peut conclure qu'ils sont meilleurs que ceux des systèmes de nombreux autres pays sur le plan de la stabilité et de la résilience. Les faillites d'institutions ont été assez rares, et si notre système financier a traversé des périodes d'incertitude financière sérieuse à grave, il s'en est sorti sans perturbation majeure et en offrant une rentabilité attrayante aux actionnaires.

Et le mérite de ce bilan ne revient pas au BSIF. De fait, nous surveillons près de 400 institutions financières, et chacune d'entre elles a un conseil d'administration dont la priorité est de créer de la valeur pour ses actionnaires. Par conséquent, si je dois attribuer à quelqu'un le mérite des bons résultats des institutions financières canadiennes, c'est d'abord aux conseils d'administration qui supervisent au quotidien la gestion de leur institution.

En fait, au cours des 4,5 années que j'ai passées comme surintendant, j'ai appris à mieux apprécier cette vérité immuable concernant la surveillance et la réglementation : au BSIF, en tant que représentant des intérêts des créanciers, nous avons de nombreux objectifs en commun avec les conseils d'administration. En effet, là où nous cherchons à assurer la résilience à long terme au profit des créanciers, des déposants et des souscripteurs, les conseils d'administration en font de même au service de leurs actionnaires. Une bonne rentabilité profite aux créanciers, tandis qu'une capitalisation et une liquidité solides profitent aux actionnaires. Par conséquent, sauf circonstances extrêmes, les intérêts des créanciers et ceux des actionnaires concordent, ce qui fait des surveillants du BSIF et des conseils d'administration des alliés naturels.

Au cours des trois dernières années, nous avons donc remanié notre cadre de surveillance pour mieux servir les intérêts des conseils d'administration, et nous avons considérablement élargi notre échelle de cotation des risques. Auparavant, nous ne fournissions qu'une seule évaluation générale du risque aux conseils d'administration; nous nous contentions d'attribuer une cote au risque global de l'institution (faible, modéré, élevé, etc.). Désormais, nous évaluons 4 sous-catégories de risque pour chaque institution et attribuons des cotes connexes : (1) risque d'exploitation, (2) gouvernance du risque, (3) résilience financière et (4) résilience opérationnelle. Nous remettons ensuite une fiche de notation annuelle aux conseils d'administration qui les informe des forces et des faiblesses de leur institution dans chacune de ces catégories, ainsi que de leur profil de risque global. Nous fournissons également beaucoup plus de précisions sur l'évolution de ces risques. Ces informations donnent aux conseils d'administration des orientations claires quant aux volets de la gestion de l'entreprise qui doivent faire l'objet d'un examen plus approfondi, tout en permettant au BSIF de ne pas prendre les institutions réglementées par surprise.

Je suis conscient que cela peut donner l'impression d'une intensification des activités de réglementation. En fait, nous exerçons une surveillance beaucoup plus critique et précise, ce qui oblige la direction à agir conformément aux orientations données par son conseil d'administration. Toutefois, nous avons constaté que ce ne sont pas nos opinions qui motivent les mesures prises par la direction. En réalité, c'est le conseil d'administration, aidé par l'analyse d'une partie prenante partageant les mêmes intérêts, qui encourage la direction à agir et favorise, en fin de compte, des améliorations.

Au BSIF, nous comptons sur le fait que les conseils d'administration jouent ce rôle important de gestionnaires responsables et éclairés, prêts à protéger les valeurs de franchise de leur institution, surtout lorsque les risques s'accentuent. Nous savons que lorsqu'ils agissent ainsi, non seulement ils servent bien les intérêts de leurs actionnaires, mais ils aident aussi le BSIF à protéger les droits des déposants, des souscripteurs et des créanciers. De surcroît, si le fait que les conseils d'administration doivent rendre des comptes et exercer une gouvernance efficace ne constitue évidemment pas une nouvelle attente, ces aspects demeurent primordiaux dans notre approche renouvelée en matière de surveillance. Lorsque l'on reviendra sur cette page de l'histoire du BSIF, je crois que le renouvellement de notre approche de la surveillance et l'évolution avertie de notre position à l'égard des intérêts que nous partageons avec les conseils d'administration resteront dans les mémoires comme des facteurs déterminants de la résilience du système financier canadien.